« Trop marocains pour la Belgique, trop belges pour le Maroc : jusqu’où ira l’hypocrisie ? »
Une rédactrice en colère ” Lamín yamina"
Il y a des silences complices plus violents que des insultes. Et puis, il y a ces commentaires, ces posts haineux qui pullulent sous les articles sur les réseaux sociaux dès qu’un Marocain malade ou au chômage est mentionné : « Ils profitent du système », « Ils ont une maison au bled », « Qu’ils rentrent chez eux ». Des phrases crachées avec une violence froide, répétées en boucle par une frange de la société civile, encouragée sans vergogne par certains responsables politiques, notamment Georges-Louis Bouchez, président du MR, qui alimente sans honte cette chasse aux pauvres, pourvu qu’ils soient bronzés.
Mais remettons les pendules à l’heure.
Ces Marocains que l’on montre du doigt, ceux qu’on accuse d’être des fraudeurs, d’être des assistés, sont souvent les enfants ou petits-enfants de ceux qui ont construit la Belgique d’après-guerre à coups de charbon et de sueur. Ils ont rempli les mines de Marcinelle, coulé le béton de vos métros, nettoyé vos rues, lavé vos hôpitaux, travaillé dans l’ombre pour bâtir ce pays. Ce pays qui, aujourd’hui, ose remettre en question leur droit à une aide sociale ou au chômage simplement parce qu’ils possèdent, souvent par héritage, un bien immobilier au Maroc.
Quel est ce pays qui récompense quarante années de labeur par la suspicion ? Quelle est cette justice sociale à deux vitesses où le bien immobilier d’un Marocain est un « signe de richesse », alors que celui d’un Belge est un « patrimoine familial » ?
Aujourd’hui, nous sommes médecins, enseignantes, infirmières, juristes, éducatrices, agents de propreté, chauffeurs de bus. Nous soignons vos proches, nous éduquons vos enfants, nous ramassons vos déchets. Nous faisons tourner cette société, parfois dans l’indifférence, souvent sous la pression d’un regard qui ne nous voit toujours pas comme des égales. Comme si être née ici ne suffisait pas. Comme si l’ascenseur social ne nous était accordé que sous conditions.
Et pendant ce temps, au Maroc, on nous regarde comme des étrangères. Parce que nous parlons parfois mal la langue. Parce que nos valeurs sont traversées d’Europe. Parce que notre maison, c’est ici aussi.
Alors dites-moi, Georges-Louis Bouchez, vous qui aimez tant parler de méritocratie, de travail, de droits et devoirs : où est notre place ? Sommes-nous condamnées à vivre entre deux mondes, à être trop Marocaines pour la Belgique et trop Belges pour le Maroc ? Devons-nous nous excuser d’avoir un toit au village familial, construit pierre après pierre, salaire après salaire, durant les congés d’été où nous ne prenions même pas de vacances ?
Cette « chasse aux sorcières » moderne, qui s’attaque à des familles entières, à coups d’enquêtes domiciliaires, de suspicion généralisée, de lois discriminatoires, est indigne d’un État de droit.
Alors non, nous ne nous tairons pas. Nous n’avons pas à rougir. Ce pays est aussi le nôtre. Et nous continuerons à le faire vivre, malgré la haine, malgré l’ignorance, malgré les politiques injustes.
Car l’histoire n’oubliera pas que ce sont des filles d’immigrés qui, un jour, ont refusé de baisser les yeux.