“Faux dossiers, abus et clientélisme : le CPAS d’Anderlecht dans la tourmente”
Le CPAS d’Anderlecht accorde un revenu d’intégration à des personnes qui n’y ont pas droit, sur base d’un faux dossier. C’est ce qui ressort d’une enquête de plusieurs mois réalisée par nos confrères de la VRT. L’émission Pano diffusée mardi soir a mis en lumière le chaos et les pratiques douteuses qui existent au sein de la gestion de l’administration bruxelloise. La commission des Affaires sociales de la Chambre mènera des auditions dès la semaine prochaine sur ces révélations.
Clientélisme, faux dossiers, abus, enquêtes sociales bâclées, absence de contrôle: les dysfonctionnements sont nombreux au CPAS d’Anderlecht: des milliers d’euros ont été octroyés indûment à certaines personnes. Des citoyens interrogés dans le reportage confirment d’ailleurs que ce CPAS-là est connu pour être particulièrement “coulant” sur l’octroi d’aides.
Deux membres de la rédaction, qui sont tous deux domiciliés en Flandre et n’ont pas de difficultés financières, ont introduit un faux dossier, sur base d’informations inventées de toutes pièces, auprès d’un assistant social. L’un a choisi une adresse via Google Maps, l’autre l’adresse d’une amie. Résultat des courses: ils ont obtenu tous les deux un revenu d’intégration social, plus de 7.000 euros cumulés chacun sur plusieurs mois.
Le reportage met en exergue le manque de personnel au sein de l’administration et la paupérisation de la commune, avec une demande de dossiers croissante. En deux ans, par exemple, le nombre de dossiers liés au revenu d’intégration a augmenté de 25%. “Parfois, on se retrouve facilement avec 200 dossiers par personne. C’est vraiment pas possible, cela devient une charge mentale très très dure”, explique un membre du personnel. “On est entre 180 et 200 dossiers en ce qui concerne le revenu d’intégration.”
Mustapha Akouz: “Je suis socialiste et fier de l’être”
Autre aspect évoqué dans l’enquête: le clientélisme. Certains dossiers ont été traités en priorité parce qu’il y avait eu une demande auprès du président du CPAS en personne. “On sent cette pression, c’est lui qui décide, qui exige. Et quand on reçoit ce mail, c’est carrément une gifle. Cela devient une urgence primordiale. Et puis, le secrétaire du président descend personnellement”, témoigne une assistante.
Mustapha Akouz, président PS du CPAS d’Anderlecht de 2018 à juin dernier est mis en cause. Il assume être intervenu directement dans certains dossiers. “Je comprends que cela indigne certains en Flandre, mais moi je suis socialiste et fier de l’être, d’aider mon prochain. On peut me le reprocher mais c’est comme ça”, se défend-il.
En ce qui concerne les deux journalistes qui sont parvenus à obtenir un RIS sur base d’un faux dossier, il estime la situation “inacceptable”. “Cela doit être à la fois lu et vérifié par les superviseurs et les assistants sociaux. Ils ne peuvent pas présenter un dossier sans être passé par les fourches caudines du service social. Donc, je me pose la question de ce qu’il s’est passé.”
Karine Lalieux réagit
La décision d’octroyer ces montants importants a été prise sous la présidence de Lofti Mostefa (PS), qui préside le Comité Spécial du Service Social, organe qui est chargé de l’octroi d’aides diverses. Contacté à plusieurs reprises par la VRT, il a refusé toute interview.
Ce mercredi matin, le porte-parole de la ministre de l’Intégration sociale et de la Lutte contre la pauvreté (en affaires courantes) Karine Lalieux (PS) affirme que la ministre a été informée des problèmes au CPAS d’Anderlecht par le biais du SPP Intégration sociale. L’administration a fait appel à l’inspection. “Le CPAS collabore avec l’inspection et le service public pour trouver des solutions. Si un éventuel revenu d’intégration a été indûment octroyé, il sera remboursé”, indique-t-on.
Le porte-parole tient à souligner que la ministre est “responsable du fonctionnement du service public, mais pas du fonctionnement interne de chaque CPAS individuellement. C’est une compétence des autorités locales et régionales”.
Le dossier porté au fédéral
La commission des Affaires sociales de la Chambre mènera des auditions dès la semaine prochaine. Les propositions de personnes à entendre sont attendues d’ici jeudi midi. Mais il semblait déjà acquis que la ministre de l’Intégration sociale, Karine Lalieux, serait conviée, de même que le président du SPP Intégration sociale. Le MR a également souhaité entendre les deux journalistes auteurs du reportage.
Un “audit financier approfondi”
L’échevine des Finances de la commune, Bieke Comer (Vooruit), réclame ce mercredi un “audit financier approfondi” du CPAS de sa commune.
Interrogée par Belga, l’édile s’est dite “vraiment choquée” par ces informations. “Le CPAS est là pour venir en aide aux personnes dans le besoin. Quiconque fraude doit être puni”, juge Mme Comer. Celle-ci réclame la conduite d’un audit de l’institution, mais aussi davantage de professionnalisme et de contrôle en son sein.
L’élue rappelle que son parti est depuis longtemps en faveur de la mise sur pied d’un CPAS commun pour tout Bruxelles.
N-VA: “Il y a d’autres cadavres dans les placards”
Le reportage a suscité la colère de la N-VA. Pour Gilles Verstraeten, député bruxellois N-VA, cela confirme les soupçons qu’il avait déjà. “Et peut-être que c’est aussi le cas dans d’autres communes, comme Molenbeek et Bruxelles-Ville”, indique-t-il. “Je vous le garantis: il y a des cadavres dans les placards ailleurs. Il y a toute une culture du clientélisme où l’on peut tout arranger si l’on connaît quelqu’un. (…) Pendant les six années où j’ai été conseiller communal dans l’opposition à Anderlecht, j’ai plaidé un nombre incalculable de fois en faveur d’un audit externe complet de l’administration d’Anderlecht. Refusé évidemment, pas de regards indiscrets! Je poserai les questions parlementaires nécessaires”, poursuit le parlementaire bruxellois.
“Il est temps de faire le ménage dans cette écurie d’Augia bruxelloise. A commencer par l’autorité de contrôle des CPAS, le SPP Intégration sociale et la ministre compétente Karine Lalieux, du PS et de Bruxelles. Quelle coïncidence”, renchérit Theo Francken, député fédéral N-VA.
Le bourgmestre s’exprime
“En écho à l’exigence de saine gestion des deniers publics et sachant que l’octroi des aides sociales par le CPAS d’Anderlecht est en principe réservé aux personnes qui sont domiciliées sur notre territoire après enquête de la police, toute la lumière devra être faite sur les éventuels dysfonctionnements dans la gestion de certains dossiers individuels”, a affirmé mercredi le bourgmestre socialiste d’Anderlecht, Fabrice Cumps.
Celui-ci a tenu à exprimer son soutien au personnel du CPAS d’Anderlecht – la 3e commune la plus pauvre de Belgique: “Je tiens à saluer les équipes d’assistants sociaux qui dans leur immense majorité font un travail sérieux et de qualité. La situation est rendue encore plus difficile sur le terrain par la concentration sur notre territoire de structures d’accueil pour personnes fragilisées dont le bourgmestre n’a de cesse de demander qu’elles soient mieux réparties”, ajoute le texte, en rappelant que différentes mesures organisationnelles ont été prises très récemment.
Un nouveau bâtiment administratif a ainsi été ouvert, des assistants sociaux ont été recrutés et un ombudsman a été engagé. Un plan d’urgence a été également approuvé pour répondre à la nécessité d’accélérer les délais de traitement des dossiers individuels “dans le strict respect du contexte règlementaire”, selon le bourgmestre.