«Au moins quatre millions d’Algériens en dépendent»: la prostitution, un secret mal gardé par le régime d’Alger

La prostitution gangrène la société algérienne dans des proportions inédites. En dépit du verrouillage du régime et de sa censure de toute information liée au phénomène, des chiffres documentés parlent d’au moins quatre millions de personnes qui vivent, en Algérie, de la générosité des clients accros aux relations tarifées. Quand on sait que les porte-voix du régime font de ce sujet un leitmotiv pour attaquer le Maroc, il y a lieu de leur rappeler ce célèbre proverbe arabe sur le chameau qui ne voit pas sa bosse.

Jean-Louis Levet et Paul Tolila, dans leur ouvrage Le mal algérien paru en 2023 (éd. Bouquins), mettent en lumière la sordide réalité d’une prostitution institutionnalisée avec des ramifications locales profondes. Les forces de l’ordre, censées être le rempart contre la délinquance, se trouvent ici complices. Une connivence cynique entre le système et les réseaux de prostitution contribue à maintenir ce cercle vicieux où la misère et l’exploitation se nourrissent mutuellement.

Certaines régions d’Algérie, comme la petite ville balnéaire de Tichy dans la région de Béjaïa, sont devenues des épicentres de ce phénomène. Avec plus de 1.500 prostituées exerçant leurs activités dans une multitude de lieux, cette ville s’est convertie en un symbole de tourisme sexuel florissant. La haute saison touristique y est marquée par un trafic de stupéfiants tous azimuts effervescent, ajoutant à la dépravation un torrent de violences et de délinquance. «À une prostitution omniprésente s’ajoute un intense trafic de stupéfiants avec son habituel cortège de violences, d’incivilités, de menaces et de scènes désolantes», détaillent les deux auteurs.

Des chiffres affolants

Les grandes villes algériennes telles qu’Alger, Oran, Béjaïa, Annaba, Tlemcen, Sétif, Tizi-Ouzou, Sidi Bel Abbès, et Bordj Bou Arreridj ne sont pas en reste. En 2007 déjà, un rapport de l’Institut de sondages algérien Abassa estimait à environ 1,2 million le nombre de prostituées clandestines en Algérie, chacune entretenant un entourage familial d’au moins trois personnes, «ce qui donne un chiffre d’un peu plus de 4 millions de personnes vivant de cette activité». Des chiffres affolants qui traduisent une précarité socio-économique alarmante et une dégradation sociale somme toute tragique.

Lors d’une enquête qu’elle a réalisée sur ce fléau en Algérie, l’avocate au barreau d’Alger, Fatima Benbraham, a quant à elle décrit des «bordels à ciel ouvert» et recensé près de 8.000 maisons dédiées à la prostitution dans la capitale seule. 8.000 maisons closes à Alger! Il est très difficile de trouver une autre ville au monde qui peut la concurrencer dans ce domaine. Cette situation déplorable s’étend sur tout le territoire algérien, avec une entrée dans le métier dès l’âge de 14 à 16 ans. La prostitution, dans ce contexte, se mue en une activité de survie désespérée, exacerbée par les cicatrices laissées par la «décennie noire» du terrorisme, où de nombreuses femmes et jeunes filles, violées ou mariées de force, se retrouvent abandonnées et rejetées, poussées vers la prostitution par une absence de perspectives, d’alternatives et d’offres d’emploi à même de préserver leur intégrité et leur dignité.

L’avocate explique également, avec force détails, que la prostitution est pratiquée «dans la rue… garages, carcasses de véhicules, gourbis, petits appartements, villas, hôtels de passe en bordure de mer […]. Cette dernière est pratiquée par les deux sexes, même si elle est exercée majoritairement par les femmes et consommée par les hommes». Et de compléter qu’elle a constaté «à travers toutes ces enquêtes que la prostitution est un marché fructueux qui a tendance à se développer. C’est un crime organisé qui rapporte énormément d’argent qui est blanchi dans l’immobilier ou dans l’import-export qui touche tous les milieux sociaux».

Le rapport de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides(OFPRA) de 2020 souligne, de son côté, que la prostitution est aussi le résultat de la crise économique, des violences conjugales, de la toxicomanie et de la dégradation du système d’entraide traditionnel. En outre, la montée en puissance de la prostitution estudiantine dans les universités, comme en témoigne une enquête menée en février 2020 à l’université de Tizi Ouzou, révèle une profonde détresse économique et sociale parmi les jeunes générations algériennes.

En dépit de cette situation alarmante, le régime des généraux continue de jouer son double jeu sordide. Selon le journaliste d’investigation Amir DZ exilé en France, le régime d’Alger finance et gère un immense réseau de prostitution qui envoie des milliers d’Algériennes se prostituer dans les pays du Golfe, où elles sont prises en charge et logées dans des quartiers huppés.

Les médias algériens eux-mêmes ne sont pas dupes de l’étendue du phénomène en Algérie: tous les salons de massage en Algérie, prétendus établissements de soins corporels, sont en fait des lieux de prostitution déguisés. L’année dernière, El Hayet TV, dirigé par Habet Hannachi qui a eu l’honneur d’interviewer Tebboune, avait diffusé un teaser lié à un reportage sur les salons de massage en Algérie, qui sont en vérité des lieux de prostitution. Annoncé pour une diffusion dans la soirée, le sujet a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Et au moment de sa diffusion, il a été déprogrammé et mis au placard. C’est que la censure du régime est passée par là. Il ne faut surtout pas parler de prostitution en Algérie.

En avril dernier, la chaîne Ennahar Tv avait diffusé un documentaire sur la prostitution dans le pays et notamment au sein des cités universitaires algériennes. Ce documentaire a été promptement supprimé et retiré des réseaux sociaux.

L’omerta, imposée par le pouvoir, sur l’étendue du phénomène, ne saurait masquer cette bien triste réalité: dans un pays riche en énergies fossiles vivotent quatre millions de personnes grâce au plus vieux métier du monde.

 

 

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