Ce que le scandale Karima Chami, la «Inventing Anna» algérienne et fausse petite-fille de l’émir Abd el-Kader, dit de la crise identitaire de «l’Algérie nouvelle»
Jeune dame syro-algérienne née à Alger, mais ayant principalement vécu en Syrie, au Liban et aux États-Unis, Karima Chami a réussi pendant des années à se faire passer pour la petite-fille de l’émir Abd el-Kader avant de s’auto-dénoncer, révélant tout le système de corruption qui l’a hissée au sommet de l’État algérien et les privilèges qu’elle a tirés de son faux statut. Un scandale qui en dit long sur la déliquescence d’un système prêt à tout avaler pour s’inventer une Histoire et des figures.
Elle a écumé tous les plateaux de télévision du voisin, fait le tour des chancelleries algériennes, fait fortune en accumulant les biens immobiliers des quartiers les plus huppés d’Alger. Le tout, au nom de l’émir Abd el-Kader, icône malgré lui de l’Algérie nouvelle, dont elle revendiquait la filiation. Elle, c’est Karima Chami, une jeune dame syro-algérienne née à Alger, mais ayant principalement vécu en Syrie, au Liban et aux États-Unis, érigée presque du jour au lendemain en petite-fille de la figure de la lutte –sujette à questionnements– contre l’Algérie française. Véritable star des écrans et autres soirées mondaines, Karima Chami aura tout vu de l’Algérie nouvelle, connu, parfois un peu trop, ses «grandes» figures. Le physique et l’accent syrien y ont beaucoup aidé.
Sauf que Karima Chami est une pure arnaque. Son histoire n’a rien à envier à celle d’Anna Delvey, la jeune femme russe qui va réussir à escroquer plusieurs centaines de milliers de dollars à des jeunes new-yorkais de la haute société, immortalisée dans la série Netflix«Inventing Anna». De la même manière, Karima Chami, et d’après ses propres aveux, a réussi à se hisser aux sommets.
Encore aux États-Unis, à Houston, elle s’est d’abord rapprochée des milieux diplomatiques algériens et séduit un certain Aref Mchakra, un des youtubeurs vedettes du régime d’Alger, puis un certain Oussama Wahid, alias Lakhdar Cherrit, un journaliste du sérail qui l’a placée dans les milieux qui comptent. L’argent a suivi. Pour grimper, «son Altesse» n’hésite pas à corrompre, d’abord l’émir Khaled El Djezairi, petit-fils de l’émir Abd el-Kader, tapi dans la ville de Londres, à qui elle offre 5.000 dollars en échange de sa reconnaissance comme descendante directe de l’émir Abd el-Kader. Pas cher, non?
Payé encore moins cher, soit quelque 1.500 dollars, Aref Mchakra joue les rabatteurs à Alger. De nombreux officiels tombent dans le panneau, comme ce fut le cas d’El Hadi Ould Ali, ancien ministre du Sport qui lui obtient un appartement dans un quartier huppé de la capitale.
«Son Altesse la princesse, Dr. Karima Chami –qui n’a aucun diplôme» est de toutes les fêtes et de toutes les émissions, du politique au culinaire en passant par l’art de l’étiquette. Extraits:
Elle réussit même la prouesse de devenir présidente du Bureau international de l’académie de la société civile algérienne aux États-Unis. Allez savoir ce que c’est au juste. Elle s’active également dans des collectes de dons et est promise au poste de ministre de la Culture. Manque de bol, elle n’a aucune légitimité académique.
Il aura fallu que la présidente de la Fondation émir Abd el-Kader l’accuse d’arnaque et que des youtubeurs crédibles comme Oualid Kébir, installé à Oujda, fassent des révélations pour que le scandale éclate, au grand dam des couvertures algériennes qui ont tout fait pour protéger leur poule aux œufs d’or. Pour en savoir plus, Oualid Kébir a d’ailleurs invité un ex-mari de la «princesse» à s’exprimer.
Un scandale dont le dernier épisode a été une vidéo partagée par la concernée et dans laquelle elle fait des aveux fracassants, citant tant ses manœuvres que ses complices. On y note que si l’art d’en jeter et de s’exprimer en public est là, c’est grâce à son mentor, le même Lakhdar Cherrit.
L’affaire n’a pas fini de révéler ses secrets, petits et grands, mais une chose est sûre: elle en dit long sur la quête aussi désespérée que sans relâche que poursuit le régime d’Alger. Celle de construire un récit, une Histoire. Qu’elle soit totalement inventée, fausse et même sale, peu importe! S’accrocher à une personne au passé trouble et la faire passer pour une «Altesse» est symptomatique d’une véritable psychose. Celle d’un État qui n’en est pas un, et d’un système qui, soixante ans après l’indépendance, n’arrive pas à trouver une identité propre.
De quoi donner raison au président Macron. Le 30 septembre 2021, le journal Le Monde rendait publics des propos tenus par Emmanuel Macron, lors d’un déjeuner à l’Élysée en l’honneur de dix-huit jeunes, issus de familles qui ont vécu la guerre d’Algérie. Ce jour-là, le président français affirmait ainsi sans faux-fuyants, entre autres vérités dures à encaisser pour le pouvoir algérien, que «la construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française? Ça, c’est la question». Des propos qui rappellent ceux datant du 16 septembre 1959, alors que l’Algérie est encore une colonie française, par le général de Gaulle. Dans un discours télévisé, ce dernier va tenir des propos encore plus précis et assumés que ceux de son lointain successeur.
«Car, depuis que le monde est le monde, il n’y a jamais eu d’unité, ni, à plus forte raison, de souveraineté algérienne. Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes syriens, Arabes de Cordoue, Turcs, Français ont tour à tour pénétré le pays, sans qu’il y ait eu, à aucun moment, sous aucune forme, un État algérien», affirme ainsi avec aplomb l’érudit Charles de Gaulle, alors président de la République française. Depuis, le régime d’Alger se cherche toujours. Sans se trouver. Pour le grand bonheur de toutes les Karima Chami, de tous les bords.