Maroc : du foot à l’économie, résilience à tous les étages
Depuis le Mondial au Qatar où le Maroc a atteint la demi-finale, les défis semblent vécus d’une nouvelle manière dans le royaume chérifien. Illustrations.
Faudra-t-il qualifier l’épopée des Lions de l’Atlas à la Coupe du monde du Qatar de simple moment sportif majeur pour le Maroc et pour l’Afrique ou plus encore de tournant historique majeur à haute portée économique, sociale, ou même politique ? La question mérite d’être posée tant l’approche des défis semble avoir été nourrie d’un nouvel état d’esprit autant chez les sportifs et les Marocains de la rue que chez les autorités, à commencer par la plus illustre d’entre elles : le roi lui-même.
Le football comme source d’inspiration
À tout seigneur, tout honneur, commençons par le football. Auréolé du prestige d’être le premier pays africain et arabe à atteindre la demi-finale de la plus populaire des compétitions sportives, la Coupe du monde, le Maroc s’est offert le luxe de battre le Brésil le 25 mars dernier en match amical à Tanger. Score final : 2 buts à 1. « Je suis dans un rêve, le Brésil est la première équipe du classement Fifa, pays du football, et en plein ramadan ! » s’est alors exclamé le sélectionneur marocain Walid Regragui, lors de la conférence de presse d’après-match. Et d’ajouter : « Mais le chemin est long, il ne faut pas s’enflammer pour atteindre de nouveaux sommets. »
Deux mois après, c’est au tour de l’équipe nationale marocaine des moins de 17 ans (U17) d’atteindre la finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) face au Sénégal. L’illustration que l’inspiration donnée par les Lions de l’Atlas non seulement se diffuse mais prend racine, c’est la nouvelle candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du monde de 2030 aux côtés de l’Espagne et du Portugal. Une manière de perpétuer l’épopée inédite du football marocain au Qatar mais aussi de superposer à sa dimension africaine sa nature méditerranéenne.
Ce qui est intéressant dans cette orbite, c’est que le royaume chérifien ose désormais se confronter aux défis sans s’autolimiter. Les victoires enthousiasment, les défaites se gèrent mais n’inhibent pas. Il faut dire que de Dakar à Dubai en passant par nombre de villes et de pays, ces moments de grâce ont été scrutés avec la plus grande attention.
La « niya » comme référence culturelle
« L’impossible n’est pas marocain », écrivait sur Twitter le vice-président des Émirats et gouverneur de Dubai, cheikh Mohamme ben Rachid, en réaction à la qualification des Lions de l’Atlas.
À partir de quoi peut-on faire une telle affirmation ?
Si le talent sportif est indéniable et l’explique, il convient aussi de voir plus loin dans des éléments culturels qui pourraient en être la cause. Vient à l’esprit une notion importante pour la population marocaine : celle de « niya » qui donne à la « bonne intention » qui accompagne l’action une importance primordiale comme le rappelle l’ouvrage Qatar 2022, le moment marocain qui a retracé en détail l’épopée de la sélection nationale et ses composantes. « En nous faisant rêver et en rendant à tout un peuple joie, fierté et goût du travail bien fait, les Lions ont, pour utiliser un langage commun, « fait leur part du job » », lit-on sur la préface du livre rédigée par Driss El Yazami. En ajoutant : « Aux autres dirigeants et responsables marocains dans tous les domaines et aux simples citoyens de faire leur part », le président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) interpelle toutes les composantes de la société.
Pour Mariam, jeune Marocaine âgée de 30 ans, « une telle victoire « ne peut être le fruit du hasard ». Et de rappeler que « le Maroc n’a pas lésiné sur les moyens durant les dix dernières années pour sortir de la crise dans laquelle avait plongé le football marocain » en référence au travail effectué depuis 2010 par l’académie Mohammed-VI de football. Anas, jeune Casablancais de 35 ans, y voit lui « une porte d’entrée pour déclencher une nouvelle dynamique socio-économique » à l’heure où celle-ci s’avère plus que nécessaire au regard des informations mentionnées dans une note du Haut-Commissariat au plan marocain (HCP) publiée en octobre dernier et selon laquelle 3,2 millions de Marocains ont basculé dans la pauvreté entre 2014 et 2022.
Face à la succession de chocs…
Le présent est en effet un tant soit peu sombre du fait de l’inflation qui poursuit son galop avec la hausse des prix des produits alimentaires sous le coup de la dégradation des conditions climatiques et du ralentissement économique mondial. La croissance, sous l’effet conjugué de la sécheresse et de l’inflation importée, a ralenti à 1,3 % en 2022 après le rebond de 7,9 % enregistré en 2021. Conséquence directe du changement climatique, l’année 2022 aura été l’année la plus chaude que le Maroc ait connue depuis 40 ans avec la pire sécheresse que le pays ait subie depuis plusieurs décennies, de quoi engendrer une sérieuse flambée des prix des denrées alimentaires et une baisse de 2 % en 2022 du pouvoir d’achat des ménages, selon le Haut-Commissariat au plan (HCP). Malgré un resserrement important et rapide de la politique monétaire, l’inflation mesurée par l’évolution de l’indice des prix à la consommation aurait connu, d’après cette institution marocaine, une hausse de 6,7 % en 2022 au lieu de 1,6 % en moyenne durant la période 2015-2020. « Légumes, fruits, viande…, tout est cher, il faut bien faire ses comptes avant de partir aux supermarchés », confie Lamia, jeune maman de Casablanca, dont le mode de consommation a beaucoup changé depuis quelques mois.
Une situation qui inquiète certaines centrales syndicales, dont la Confédération démocratique du travail (CDT) qui prévoit d’organiser une marche nationale de protestation le dimanche 4 juin à Casablanca. La raison avancée : « Des choix politiques, économiques et sociaux du gouvernement » et son « incapacité à activer l’augmentation générale des salaires », relativement à la Charte sociale et au contenu de l’accord du 30 avril 2022 issu du dialogue social entre les syndicats, le gouvernement et le patronat.
… des signes de résilience économique
Pourtant, à en croire un récent rapport de PricewaterhouseCoopers, certains secteurs ont pu tirer leur épingle du jeu en 2022. « Le secteur du tourisme, qui a repris à vive allure après la pause pandémique, a enregistré une progression de ses recettes de plus de 150 % sur les dix premiers mois de l’année. On observe, par ailleurs, une poursuite soutenue de la filière automobile après son décollage enclenché en 2014 », peut-on lire dans ce document intitulé « L’économie marocaine entre défis et opportunités ». Et d’ajouter : « Mais ce sont les ventes de phosphates et d’engrais qui ont enregistré les plus fortes hausses, avec un rebond notable de 111 % en 2022, surfant ainsi sur la flambée des cours mondiaux. Ces ventes ont représenté 23 % des exportations marocaines. » De quoi comprendre la révolution industrielle portée par l’OCP visant à consolider la position mondiale du groupe sur le marché des engrais.
Alors, que faut-il attendre de l’économie marocaine en 2023 ? « Une amélioration de ses performances », si l’on en croit le directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale du Fonds monétaire international (FMI), Jihad Azour, dans un entretien accordé au quotidien marocain L’Économiste. « La qualification du Maroc pour la Ligne de crédit modulable (LCM) d’un montant d’environ 5 milliards de dollars apparaît ainsi comme un accomplissement notable qui reflète la solidité du cadre institutionnel et des fondamentaux économiques du royaume », souligne le responsable du FMI, en marge de la visite effectuée au Maroc, les 28 et 29 avril derniers.
Selon les projections du FMI, l’économie marocaine devrait enregistrer un taux de croissance de 3 % en 2023 et de 3,1 % en 2024. Même son de cloche du côté de la Banque africaine de développement (BAD), qui, elle, table sur une croissance marocaine de 3,3 % en 2023-2024. Des prévisions qui poussent 73 % des dirigeants marocains à demeurer « confiants dans la capacité de leur entreprise à faire face au ralentissement de l’économie mondiale et nationale », indique la CEO Survey PwC Maroc. Ainsi, « les investissements devraient se poursuivre dans la montée en compétences des talents mais aussi dans une plus grande automatisation des processus et le déploiement du numérique », souligne le rapport de PwC.
Du côté de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), le binôme, récemment réélu aux commandes du patronat marocain, a fait de la promotion de l’investissement un des principaux axes de son second mandat. Au cœur des priorités de Chakib Alj, son président, et de Mehdi Tazi, son vice-président général, « il y a la mise en œuvre de la Charte de l’investissement, la promotion des petites et moyennes entreprises (TPME) et surtout la mise en place d’une nouvelle stratégie industrielle nationale axée sur la souveraineté industrielle dans divers secteurs ».
Dans un tel contexte, comme pour donner le ton et continuer sur la lancée des initiatives structurantes qu’il a mises sur orbite depuis son accession au trône alaouite en juillet 1999, le roi Mohammed VI a en personne présidé à Rabat la présentation de deux marques marocaines de voitures à hydrogène, Néo Motors et NamX, la première fondée par Nassim Belkhayat, la deuxième par Faouzi Annajah et Thomas de Lussac.
Une fenêtre sur la révolution industrielle en marche
C’est là l’illustration de la volonté d’impulser l’élan de l’une des économies manufacturières les plus solides du continent, comme le confirme l’indice de l’industrialisation en Afrique. Le Maroc y figure en deuxième position au titre de l’année 2022. Autant dire qu’avec ces deux marques automobiles portées par des compétences locales, le Maroc franchit un cap important.
« Ces deux projets novateurs permettront de renforcer la promotion du label Made in Morocco et conforteront la place du royaume comme une plateforme compétitive de la production automobile », indique d’ailleurs la MAP, l’agence de presse marocaine. Une brique de plus, pourrait-on dire, dans le déploiement du nouveau modèle de développement (NMD) qui devrait permettre d’accélérer l’intégration du royaume dans les chaînes de valeur régionales et mondiales afin de lui conférer une place de choix à l’horizon 2035.
Avec le lancement de deux voitures 100 % marocaines, le défi est désormais de positionner davantage ces produits Made in Morocco à l’international grâce à une capacité annuelle prévisionnelle de 27 000 unités et un taux d’intégration locale de 65 %. Outre la dimension économique, la production de la voiture Hydrogen Utility Vehicule, dont le lancement industriel est prévu pour 2027, constitue une opportunité de taille pour le royaume qui s’organise pour jouer un rôle de tout premier plan dans l’approvisionnement mondial en énergie verte via l’hydrogène.
Une perspective tout à fait en raccord avec la volonté du royaume de structurer « l’offre Maroc » de la filière hydrogène vert dans le sillage des engagements pris en matière de transition énergétique et écologique visant à atteindre un taux de production de 52 % des énergies renouvelables d’ici à 2030 ainsi que la neutralité carbone à l’horizon 2050. Rabat souhaite, en effet, accroître les capacités de production d’engrais tout en s’engageant à atteindre la neutralité carbone avant 2040. Ainsi, l’OCP, le géant mondial du phosphate, projette d’alimenter l’ensemble de son outil industriel en énergie verte d’ici à 2027. De quoi faire du Maroc un des pays les plus verts au monde et, à côté de la résilience économique, poursuivre sa résilience en matière de santé.
La santé et le social pris à bras-le-corps
Dans le courant de ce mois de mai, un nouveau centre hospitalier universitaire a été inauguré par Mohamed VI à Tanger. Réalisé sur un terrain de 23 hectares, ce CHU, disposant d’une capacité d’accueil de 797 lits, vient renforcer l’offre de soins dans la région nord du royaume à l’heure où le pays œuvre d’arrache-pied à réformer son système de santé et à mettre en place une protection sociale au profit de tous les Marocains, d’ici à 2025. Très attendu, notamment par les habitants de la région de Tanger, cet hôpital arrive au moment où plusieurs instances marocaines appellent à améliorer l’offre de soins médicaux au niveau national, notamment le Conseil de la concurrence. « La consolidation de la dimension référentielle de l’hôpital public, avec des actions de fond en faveur d’une mise à niveau et d’une densification du réseau d’hôpitaux publics de qualité, s’impose avec acuité dans le cas de notre pays », affirme Ahmed Rahhou, président du Conseil de la concurrence, dans son avis rendu public en décembre 2022 et relatif au fonctionnement du marché des soins médicaux dispensés à travers le pays.
Du sang neuf dans les instances publiques
Football, environnement économique, industrie : face à l’immensité des défis à relever, le Maroc a pu faire face grâce à la qualité et à l’abnégation de compétences locales. Cela n’a pas échappé au roi qui vient de procéder à de nouvelles nominations à l’issue du conseil des ministres du 19 mai. Objectif : injecter du sang neuf dans les grandes agences et les administrations publiques jugées stratégiques, et ce, pour favoriser la résilience marocaine. Ainsi de celles en charge de l’Efficacité énergétique, de la Sûreté et de la Sécurité nucléaires et radiologiques, du Développement de la logistique, de l’information (agence de la MAP), de l’Aménagement (Al Omrane) et du Crédit agricole. Une manière de mieux s’adapter à la conjoncture mouvante sur les plans local et international et aussi de se mettre en situation de pouvoir suivre la trajectoire des recommandations du nouveau modèle de développement.