Ramadan et foot : « Se restaurer ou s’hydrater ne sont pas des actes de prosélytisme »

Nicolas Cadène, ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, revient sur la polémique autour de l’interdiction d’interrompre les matchs de football pour que des joueurs musulmans puissent s’alimenter à l’heure de la rupture du jeûne du Ramadan. Selon lui, elle révèle une méconnaissance du principe de laïcité.

Jeudi 30 mars, la Fédération française de football (FFF) a envoyé aux arbitres un courriel dans lequel elle précise qu’« il a été porté à (sa) connaissance des interruptions de matchs à la suite de la rupture du jeûne du Ramadan (contraires aux) dispositions des statuts de la FFF ». La fédération aurait rappelé « l’application scrupuleuse de l’article premier des statuts de la fédération sur le respect exigeant du principe de laïcité dans le football ». Didier Digard, entraîneur de l’équipe de Nice, a réagi en déclarant : « On est dans un pays laïque, pas dans un pays musulman. »

Ces réactions contiennent plusieurs erreurs sur lesquelles il apparaît utile de revenir tant elles confirment une méconnaissance du principe de laïcité dans un des pays qui l’a pourtant le plus développé.

L’article 1er des statuts de la FFF ne rappelle pas le « respect exigeant du principe de laïcité dans le football », car il ne le pourrait pas. Lorsque j’étais rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, j’ai accompagné la fédération dans sa volonté de réécrire ses statuts. À cette occasion, avait été rappelé à la fédération que la laïcité n’avait de conséquence que pour ses personnels. Du fait du principe de séparation posé par la loi du 9 décembre 1905, la laïcité impose la neutralité à celles et ceux qui représentent l’administration publique.

Tel est le cas des personnels de la fédération, puisque celle-ci se voit déléguer un service public (ce qui n’était pas toujours su). Cela ne concerne pas les joueuses et joueurs, qui, comme tout usager, voient, grâce à la laïcité, leur liberté de conscience assurée. Néanmoins, comme le rappelle cet article 1er, une tenue réglementaire peut être légitimement imposée à celles et ceux qui pratiquent un sport en club, quel qu’il soit.

Tenue réglementaire… pour des raisons d’hygiène

Cette règle d’une tenue réglementaire, qui existe partout dans le monde, ne repose pas sur la laïcité mais sur le respect des règles du jeu, d’hygiène et de sécurité. Elle peut conduire à l’interdiction objective d’accessoires ayant par ailleurs une connotation religieuse, et donc à une neutralité de fait.

Cependant, la récente interdiction édictée par la FFF de tout couvre-chef pour les seules joueuses de tous les clubs est contestable en droit. Dès lors qu’un couvre-chef respecte les règles du jeu, d’hygiène et de sécurité, en se conformant ainsi à la tenue réglementaire, il n’y a pas de raison objective de l’interdire. Ainsi, un foulard peut être interdit s’il s’apparente à un voile porteur d’un risque de strangulation, d’accrochage ou de gêne dans les mouvements corporels. En revanche, un couvre-chef du type d’un bonnet serré ne le sera pas. Cette interdiction générale de tout couvre-chef pour les joueuses est avancée par certains au nom de l’égalité femmes-hommes. Pourtant, le port sur un terrain de foot de certains couvre-chefs par des hommes n’a jamais posé de problème.

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Rappelons aussi que la France n’a reconnu officiellement le football féminin qu’en 1970 et qu’auparavant, lorsqu’il était toléré, la tenue réglementaire comportait le port obligatoire d’un large bonnet… Qui se souvient, encore, des propos du dirigeant sportif (créateur du Tour de France), Henri Desgrange en 1926 : « Que des jeunes filles osent même courir après un ballon dans une prairie qui n’est pas entourée de murs épais, voilà qui est intolérable ! » ? Plus près de nous, en 2019, à l’occasion de la Coupe du monde féminine de football, l’académicien Alain Finkielkraut s’écriait à la télévision : « C’est pas comme ça que j’ai envie de voir les femmes ! » On aimerait entendre ces « défenseurs » de l’égalité sur d’autres sujets que le couvre-chef : si l’Allemagne compte plus d’un million de licenciées, la France n’en compte que 200 000.

Un État laïque donc aconfessionnel

La problématique de la rupture du jeûne renvoie elle aussi à la neutralité supposée des joueurs. On l’a vu, si les joueurs de clubs ne sont pas soumis aux principes de laïcité et de neutralité, ils peuvent légitimement se voir imposer une tenue réglementaire définie objectivement. Par ailleurs, les terrains de pratique n’étant pas des lieux de propagande, leur comportement ne saurait être prosélyte. Dès lors, se restaurer ou s’hydrater constitue-t-il un acte de prosélytisme ? La réponse est non puisque seuls les comportements, les propos ou écrits visant à susciter l’adhésion d’autrui peuvent être qualifiés comme tels. C’est la raison pour laquelle la FFF elle-même réassigne les joueurs à leurs croyances supposées lorsqu’elle interdit, précisément en période de Ramadan, toute pause fraîcheur par ailleurs déjà autorisée depuis 2014 par la Fifa.

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Imagine-t-on la FFF empêcher cette pause qui satisfait l’ensemble des joueurs un jour de forte chaleur, parce que concomitante avec le Ramadan ? Enfin, rappelons à Didier Digard que si la France est un État laïque, c’est-à-dire aconfessionnel, c’est un pays pluriel où se mélangent des indifférents, des agnostiques, des athées mais aussi des croyants. La laïcité n’est pas un outil anti- ou pro-religions, c’est un outil qui permet de faire ensemble quelle que soit notre appartenance, non pas en répondant à un intérêt particulier, mais en offrant des réponses d’intérêt général. S’hydrater ou manger un biscuit durant une pause de deux minutes serait-il un acte exclusivement religieux ?

 

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