Abattage rituel et bien-être animal: le dilemme cornélien du législateur bruxellois

La rédaction

Défi, Groen et l’Open VLD  se sont à nouveau positionnés contre l’abattage des animaux sans étourdissement, pratiqué pour certifier la viande halal et casher. Cette position a suscité l’indignation du grand rabbin de Bruxelles , qui dénonce l’hypocrisie de l’argument du bien-être animal.

C’est un sujet qui s’invite régulièrement dans le débat public . La question de l’interdiction de l’abattage rituel, formule qui désigne la mise à mort des animaux dans le respect de rites précis pour qu’ils soient certifiés casher ou halal, a refait surface, proposition d’ordonnance qui vise à imposer l’abattage avec étourdissement préalable, même pour les rites religieux.

Dans ce dossier deux injonctions éthiques apparemment contradictoires s’opposent. D’un côté le bien-être animal. Le fait de trancher la jugulaire d’un animal conscient suscite plus de souffrance que le faire après un étourdissement. Les connaissances récentes en éthologie et en biologie montrent que la sensibilité des êtres vivants comme les ovins ou les bovins a été sous-estimée. Diminuer leurs souffrances s’impose donc comme impératif éthique.

A l’opposé, il y a le respect des rites religieux Halal et Casher. Les interprétations des représentants de ces cultes ici à Bruxelles, impose l’abattage sans étourdissement (ce n’est pas universel comme doctrine). En démocratie libérale, le respect de la liberté des cultes, le respect des convictions de chacun, le droit de mener sa conception de la vie bonne est garanti. Garder la possibilité d’un abattage sans étourdissement est donc aussi un impératif éthique.

Comme dans tous les problèmes éthiques, il s’agit d’arbitrer des valeurs ou des principes. C’est là que le politique se tient.

Mais ce dilemme éthique, pourrait cacher d’autres enjeux. Les adversaires de l’ordonnance proposée par Défi, Groen et l’Open VLD y voient le spectre de l’islamophobie. Le raisonnement est le suivant : le bien-être animal n’est pas le vrai sujet, le vrai sujet c’est le rejet de l’islam. Si le bien-être animal était le vrai sujet, on travaillerait prioritairement sur l’élevage industriel, le broyage de poussin, les conditions de transports des animaux. Ce manque de cohérence déforcerait la légitimité des intentions des partisans de l’interdiction.

La réponse des défenseurs du texte est généralement que les résistances à l’abattage sans étourdissement sont communautaristes. C’est-à-dire qu’elles font passer des règles particulières à une communauté avant un intérêt général, ici en l’occurrence, l’intérêt général du bien-être animal.

Les deux camps s’accusent donc mutuellement de tronquer le vrai sujet : l’arbitrage entre bien-être animal et liberté de culte.

Théoriquement, un dilemme éthique peut être dépassé par un débat rationnel, ou tous les arguments s’échangent. Le débat construit le public, autant que le public construit le débat. Les débats sur l’euthanasie ou le mariage de personnes du même sexe par exemple ont permis de construire de larges consensus, qui n’étaient pas du tout acquis au départ. Mais dans ces deux exemples, on ne s’accusait pas de se tromper de sujet. Il y avait assez peu de : “Vous instrumentalisez l’euthanasie pour obtenir les voix des mourants”.

C’est ce qui explique que beaucoup de partis sont divisés. Défi, qui a déposé l’ordonnance. Ecolo qui ne donnera pas de consigne de vote. Le PS votera contre, mais quelques députés aimeraient passer outre la consigne. « Les Engagés » qui contrairement à ce que j’ai dit lundi, ont bien conservé un passage dans leur charte où ils expliquent qu’ils sont favorables à l’interdiction et favorable à des techniques d’étourdissement réversibles. Mon erreur était due au fait que le passage était auparavant dans le chapitre consacré au vivre ensemble et qu’il a finalement été intégré au chapitre sur le bien-être animal.

Pour que ce débat réussisse, il manque une condition minimale, une reconnaissance de la légitimité des positions adverses. Je ne suis pas d’accord avec toi, mais je reconnais la légitimité de ton point de vue. Cette reconnaissance mutuelle est un préalable qui n’existe pas à Bruxelles. En l’absence de cette reconnaissance, il n’y aura qu’un passage en force. Quel que soit le sens du vote. On dira : le bien-être animal à bon dos. Ou on dira : la liberté des cultes à bons dos. Sauf miracle du débat parlementaire, la décision du parlement Bruxellois ne suscitera que du ressentiment.

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