A Bruxelles, le dossier divise les partenaires de la majorité. Fin janvier, Défi, Groen et l’Open VLD ont déposé au parlement régional une proposition d’ordonnance qui vise à imposer l’abattage avec étourdissement préalable, même pour les rites religieux. Initialement, le PS bruxellois n’avait pas exclu de laisser la liberté de vote à ses députés. Au cours d’une réunion de groupe, il a finalement été décidé de voter contre le texte.
d’après Albert Guigui , Grand Rabbin de Bruxelles qui déclare devant les parlementaires.
Où est la logique ?L’application du projet de loi s l’abattage rituel, tel qu’il est libellé actuellement, aura pour conséquence immédiate de fermer l’abattoir d’Anderlecht et de transférer toute l’activité actuelle vers d’autres pays européens qui n’exigent pas l’étourdissement préalable. Quelles sont les conséquences de ce projet de loi ?
C’est tout un quartier que nous allons tuer et, de ce fait, jeter au chômage des centaines de chefs de famille. Ainsi le vote de ce projet de loi risque d’ajouter la misère à la misère. Par ailleurs, juifs et musulmans devront importer de l’étranger la viande Cacher et Hallal et devenir dépendants des pays étrangers, avec les risques que cette situation comporte.
Pourquoi s’attaquer à l’abattage rituel alors que toute la filière de la viande laisse à désirer ?
L’abattage selon le rite concerne deux minorités religieuses : la communauté juive et la communauté musulmane. En exigeant l’étourdissement préalable, on empêche de facto les juifs et les musulmans de manger la viande abattue dans notre région. Mais pourquoi s’attaque-t-on seulement à un des aspects de la production de viande en touchant exclusivement les communautés religieuses alors que nous autorisons dans nos régions : l’élevage en batterie, les conditions déplorables du transport des animaux, le gavage des oies, l’ébouillantement des homards etc ? Pourquoi juste l’abattage selon le rite ? Pourquoi deux poids et deux mesures ?
Mesures injustifiées et disproportionnées
Pour nous, la mesure de prohibition totale de l’abattage selon le rite, donc sans étourdissement préalable, est injustifiée et disproportionnée. Le caractère injustifié résulte du fait que des aménagements peuvent être envisagés pour ménager la souffrance animale, sans réduire à néant une pratique intimement inspirée par un souci religieux de ménager l’animal. Aucune consultation n’a été faite avec les autorités religieuses en vue de trouver des aménagements pouvant permettre aux uns et aux autres de trouver une solution.
Quant au caractère disproportionné qu’aurait une décision d’interdiction, outre un rappel de la gravité de l’ingérence au sein d’un élément essentiel de la liberté religieuse, il est important de rappeler la grande difficulté que la mesure prise par la région wallonne et la région flamande, suscite en termes d’approvisionnement en viande abattue selon les règles religieuses.
Bien évidemment, d’aucuns répondront que l’approvisionnement n’est pas impossible à l’étranger ou même – encore à ce jour – à Bruxelles, fût-ce au prix d’un renchérissement du coût. Le cœur du débat réside dans le risque qu’un raisonnement européen qui tolèrerait de telles restrictions ouvrirait la voie à une logique de développement continu des prohibitions générales et absolues dans l’ensemble de l’espace européen. Jusqu’à rendre illusoire toute possibilité d’achat à l’étranger.
En outre, et de façon plus prospective, il serait même possible de faire valoir que les prohibitions flamandes et wallonnes fondées sur l’impératif de protection du bien-être animal, mais potentiellement admises car elles peuvent être contournées par des approvisionnements à l’étranger, sont, elles-mêmes, profondément incohérentes. Car, en principe, la lutte affichée contre la souffrance animale devrait s’imposer indépendamment des frontières. Une vache lilloise n’est pas moins importante qu’une vache wallonne ou flamande.
Que disent les scientifiques?
Abordons à présent, le fond du problème. Que disent les scientifiques ? Nous voulons citer l’avis de l’Autorité européenne pour la sécurité des aliments, connue sous le nom de l’EFSA (1). Ce groupe scientifique s’est réuni à la demande de la Commission européenne pour analyser les principaux systèmes d’abattage par étourdissement sur les espèces d’animaux utilisés dans le commerce.
Le dernier rapport de ce groupe de scientifiques a été publié en 2004 par le journal de l’EFSA, n° 49, p. 1-29. Voici quelques citations extraites de ce rapport :
« En général, les cris chez l’animal, lors de l’état d’inconscience, quelles que soient les méthodes d’étourdissement utilisées, sont des signes de douleur et de souffrance. Cependant, l’absence de cris ne garantit pas l’absence de douleur et de souffrance. »
Au sujet des mécanismes et des effets des différentes méthodes d’étourdissement, il est écrit : « Il y a un besoin urgent d’enquêter plus avant et de manière détaillée sur les mécanismes et les effets des différentes méthodes d’étourdissement, leur mise en application technique et leur organisation pratique, ainsi que sur l’amélioration de la formation du personnel afin de mieux assurer le bien-être de l’animal. » Où sont donc les certitudes souvent avancées par les sociétés protectrices des animaux qui discréditent l’abattage selon le rite religieux ? Selon ce rapport, rien n’est donc sûr.
Ce même rapport de l’EFSA signale : « La contention dont on a besoin pour l’application correcte de l’étourdissement électrique ou mécanique ou de l’étourdissement mise à mort peut être une des étapes les plus stressantes et douloureuses du processus d’abattage. »
Nous voudrions encore citer le rapport de la troisième réunion du groupe de travail de l’Organisation mondiale de la santé animale (qui rassemble en son sein 167 pays, qui s’est tenue à Paris, le 27 mai 2005. Ce groupe, qui comprend des experts de renommée internationale, tels que Neville Gregory ou Temple Grandin, entre autres, a adopté un guide comprenant des lignes directrices connues et acceptées par tous les vétérinaires officiels.
Dans ce rapport, les experts scientifiques passent en revue toutes les méthodes d’étourdissement et reprennent, pour chaque méthode, les avantages et les inconvénients. Parlant du pistolet à tige perforante, méthode appliquée dans nos abattoirs, en Belgique et ailleurs, le rapport note les inconvénients suivants :
1) le mauvais entretien du pistolet, ratages du tir et imprécisions de la position et de l’orientation du pistolet peuvent poser des problèmes de protection animale ;
2) la méthode est difficile à appliquer chez les animaux agités ;
3) l’utilisation répétée des pistolets à cartouche peut entraîner une surchauffe ;
4) l’écoulement de liquides corporels peut poser des problèmes de biosécurité ;
5) la destruction du tissu cérébral peut gêner le diagnostic de certaines maladies.
Toutes ces carences font que les échecs des méthodes d’étourdissement sont hélas nombreux et dramatiques. Le rapport de l’INRA (2) sur le bien-être animal fait le point sur ces échecs : de 6 à 16 % chez les bovins.
En Belgique, nous abattons 600 000 bovins par an. Si nous prenons, pour les bovins, une moyenne de 10 % (entre 6% et 16%), chaque année 60 000 bêtes, mal ou pas étourdies, entrent directement, encore conscients, dans la chaine de production, où ils sont saignés sans précaution particulière. Par conséquent, ces animaux subissent une double souffrance : celle de leur étourdissement (jamais mesurée), et celle de leur saignée. Leur agonie peut alors être atroce. En revanche le pourcentage de bovins abattus en Belgique selon le rite Cacher ne dépasse pas une fraction de 1%.
Ce qui fait dire au professeur R. Dantzer, docteur vétérinaire, docteur es Sciences, directeur du laboratoire de neurobiologie de l’INRA et membre du Comité scientifique vétérinaire de la Commission européenne: «En résumé, la position adoptée par certains membres du Comité scientifique vétérinaire vis-à-vis de l’abattage rituel est dénuée de tout fondement scientifique sérieux et elle s’oppose aux efforts menés actuellement pour améliorer les conditions d’abattage tout en respectant le rite. »