Interdiction de l’abattage rituel: la résistance s’organise
Jusqu’à aujourd’hui, la législation belge, qui impose aux abattoirs de mettre à mort les animaux « suivant la méthode la moins douloureuse », c’est-à-dire après étourdissement ou anesthésie, prévoyait une exception pour les animaux abattus dans le cadre de rites religieux. Avec la fin annoncée de cette exception religieuse, les débats font rage .
Le judaïsme et l’islam édictent diverses prescriptions alimentaires visant à rendre la viande propre à la consommation par les fidèles de l’une ou l’autre religion. Pour que sa viande soit casher, un animal doit être abattu selon les règles de la shehita ; pour qu’elle soit halal, il doit l’être selon les règles du dhakât. Ces deux méthodes d’abattage réclament que l’animal soit conscient lors de sa mise à mort par tranchage du cou. Sont concernés le bétail (bovins, ovins et caprins) et la volaille. C’est l’abattage destiné à produire de la viande halal, répondant aux besoins d’une population musulmane européenne en croissance, qui fait l’objet de la plus forte visibilité médiatique, particulièrement lors de la célébration de l’Aïd el-Kébir (ou Aïd el-Adha), autrement dit la « fête du Sacrifice ». Pourtant, d’après Caroline Sagesser, auteur du Courrier Hebdomadaire sur l’abattage, L’existence de plusieurs recours auprès de la Cour constitutionnelle s’explique par un positionnement légèrement différent des communautés musulmanes et juives par rapport à la problématique de l’abattage sans étourdissement. Là où certaines communautés musulmanes pourraient admettre un étourdissement simultané ou quasi simultané de l’animal, tout étourdissement reste inadmissible pour le judaïsme.
Ce que dit la législation belge
Au nom du bien-être animal, la Wallonie et la Flandre ont mis fin, à partir de 2019, à l’exception relative aux abattages prescrits par un rite religieux. En Wallonie, le premier feu vert avait été donné en mai 2017 quand le Parlement adopte a proposition de décret visant à interdire l’abattage des animaux sans étourdissement. Puis, en juin 2018, ce même Parlement octroyait une prolongation de la dérogation jusqu’en septembre 2019, date à partir de laquelle l’abattage rituel sera formellement et strictement interdit. Tout animal mis à mort dans un abattoir, que ce soit au nom d’un rite ou pas, doit être préalablement étourdi ou anesthésié. Au nom des droits fondamentaux, diverses organisations issues des communautés juive et musulmane ont déposé un recours contre ces mesures auprès de la Cour constitutionnelle, dont le Consistoire central israélite de Belgique (CCIB) et l’Exécutif des musulmans de Belgique (EMB). Au total , ce sont quatre recours, totalisant 44 plaignants, qui ont été introduits auprès de la Cour constitutionnelle contre le décret wallon 125. Remarquons que le grand rabbin Albert Guigui fait également partie des plaignants à titre privé. Du coté flamand, cinq recours, totalisant 51 plaignants, ont été introduits auprès de la Cour constitutionnelle contre le décret flamand 127. En Région bruxelloise, de vifs débats sont en cours depuis plusieurs années, tant au sujet de la question des lieux d’abattage qu’au sujet de celle des méthodes d’abattage.
Prudence, amalgame et récupération
A la lecture de l’étude de Caroline Sagesser, on se rend aisément compte que la question est des plus complexes et qu’elle engendre aussi des amalgames et récupérations politiques douteuses, notamment dans le chef de l’extrême-droite, qui a fait de la cause animale un de ses chevaux de bataille. Prenons par exemple le tweet en 2015 du maire FN de Hayange, Fabien Engelmann, photographié au chevet de quatre moutons : «De petits rescapés de l’Aïd el-kébir. Ils seront redirigés vers des associations de protection animale.» Caroline Sagesser explique aussi que cette montée en puissance de l’intérêt porté au bien-être animal – qui s’observe à travers d’autres manifestations, telles que l’interdiction de la vivisection ou de la fourrure, ou la popularité grandissante des régimes végétariens ou végétaliens – a débouché sur l’interdiction récente de l’abattage rituel dans plusieurs pays européens. Récemment, la Slovénie (2012), la Pologne (2013) et le Danemark (2014) ont décidé la fin de la dérogation au principe de l’étourdissement préalable à l’abattage. Pour en revenir à la France, l’abattage rituel y est très encadré puisque le ministre français de l’Agriculture agrée les organismes religieux qui doivent habiliter les « sacrificateurs ».
L’étude de Caroline Sagesser expose ensuite la situation de l’abattage rituel en Belgique en précisant que l’une des principales critiques formulées à l’encontre de cette pratique est l’absence de traçabilité de la viande qui se retrouve dans le circuit économique ordinaire sans aucun contrôle. Elle revient aussi sur vingt ans de débat au Parlement fédéral pour une éventuelle interdiction de l’abattage sans étourdissement (1995-2014), ce qui permet de mieux comprendre l’évolution sociétale autour de cette question épineuse. Pour la chercheuse, en Belgique, c’est la croissance de la population musulmane, le développement de la production de viande halal et la visibilité des abattages lors de l’Aïd el-Kébir qui ont ouvert le débat autour de l’abattage sans étourdissement. Or, comme nous le citons en début d’article, les règles de la nourriture halal semblent plus perméables aux adaptations interprétatives que celles de la kasherout.
Des voix s’élèvent
On découvre sur Facebook que l’association « Musulmans pour le bien être et la défense des animaux » et le parti politique Be.one Liège – parti pour le renouveau politique et l’égalité radicale – ont organisé (fin janvier 2019) un workshop qui a , selon les propres termes des organisateurs, « pour vocation de réfléchir aux ripostes potentielles que nous pouvons entamer ensemble juifs, musulmans, chrétiens, athées ou agnostiques pour rappeler au monde politique que le droit de croire ou de ne pas croire et le manifester publiquement est un droit fondamental auquel nous tenons et nous comptons le garder« .
Leur ligne de défense est que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites« . D’après ces deux groupements, « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » Face à l’interdiction en Flandre et en Wallonie de l’abattage rituel courant 2019, ils prennent donc la parole et envisagent aussi une riposte judiciaire et politique. Et ils annoncent vouloir « mettre sur la table ce sujet là où nous aurons l’occasion de le faire et ce sans modération« .
Pour Be one Liège, en tant que parti politique (au niveau national, le parti a été fondé début 2018 par l’essayiste Dyab Abou Jahjah et l’ancienne sénatrice Agalev, Meryem Kaçar, n’ayant engrangé aucun résultat électoral pour l’instant), leur rôle n’est pas de défendre l’une ou l’autre religion, mais de « se battre pour que chaque citoyen Belge, quelle qu’elle soit sa religion, ait le droit de manifester son appartenance à une religion, collectivement ou individuellement, sans que cela ne fasse l’objet d’aucunes restrictions », appuyant leur discours sur l’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme. Le parti politique liégeois prétend aussi que le droit animal, qui s’étend bien au-delà du simple cadre de l’abattage rituel, doit s’entendre aussi par les conditions de vie, de transport, de cadence d’abattage, etc. Les organisateurs du workshop concluent leur appel (diffusé via un évènement Facebook) en ces termes : « Nous appelons à ouvrir la porte à une concertation plus large, plus apaisée, moins clivante, sur notre modele de consommation et notre relation avec les animaux qui finissent dans nos assiettes ». Mais ne cache pas se mobiliser afin d’élaborer « une feuille de route pour mettre fin à cette injustice« .