Tour de France 2019 : de Merckx à Gilbert, en Belgique bat le cœur du vélo
Le petit pays qui accueille les trois premières étapes de la Grande Boucle a fait du cyclisme une véritable religion, où ses champions sont vénérés dieux.
Ils sont 21 Belges sur les routes du Tour de France. Mais ils sont des millions à les regarder passer avec des yeux enamourés. Le fruit d’une folle passion irrationnelle et dévorante. La Belgique compte deux rois. Il y a Philippe qui a succédé sur le trône à son père Albert II en 2013 et le vélo qui règne depuis plus d’un siècle sur ce petit pays, vingt fois moins grand que la France. Et au-dessus d’eux, il y a Eddy Merckx, l’indéboulonnable pape d’un sport et d’un peuple qui fête à l’occasion du 106e Tour les 50 ans de la première des cinq victoires du Cannibale ».
La clameur colossale qui a accompagné le plus grand coureur de tous les temps jeudi sur la Grand-Place de Bruxelles est à la hauteur de l’hommage du pays à son héros. « Il est partout et à toutes les sauces », sourit un Bruxellois. L’idole est surtout devenue une intouchable statue du commandeur. « Quand j’ai débuté ma carrière professionnelle, je n’osais même pas courir à côté de lui de peur de le faire tomber », se marre Patrick Lefévère, le patron de la Deceunick-Quick Step, la plus flamande des équipes du Tour.
« Le Tour des Flandres est encore plus grand »
Samedi entre Bruxelles et Bruxelles en passant par Charleroi, il n’y en avait que pour « Eddy ». Dans les conversations, pas besoin de préciser de qui on parle. Son prénom est devenu un nom générique. Assis dans la voiture du directeur de course, Christian Prudhomme, Merckx, 74 ans, a défilé au milieu d’une haie d’honneur de 194 km. Sur les casquettes, les maillots et les devantures de magasins, il n’y en avait que pour lui. Le seul, l’unique, Eddy. En escaladant le terrible mur de Grammont, juge de paix du Tour des Flandres, Merckx a pu se souvenir de ses deux succès dans « le Ronde », le surnom de la classique. Une course qui marque le paroxysme de la saison du cyclisme belge.
« On dit que le Tour de France est la plus grande des compétitions mais pour moi, comme pour la plupart des Belges, le Tour des Flandres est encore plus grand. Cette course est plus grande que tout », résume le coureur flamand Oliver Naesen (AG2R-la Mondiale).
La « Ronde » est ce jour d’avril où le cœur du vélo belge bat le plus fort. Celui où les cliquetis des dérailleurs et les ahanements des coureurs sur les pavés sont couverts par une furieuse clameur, celle d’un peuple flandrien venu hurler sa fierté et son attachement à sa région. Le tout au milieu des odeurs de saucisses grillées, de bain d’huile qui déborde de frites et de bière qui coule aussi vite dans les gosiers qu’elle ne vole au-dessus du peloton.
« Le départ du Tour des Flandres ressemble à un concert géant en plein air. C’est noir de monde et les coureurs sont adulés, alors qu’il n’y a rien à voir, détaille Laurent Bruwier, vingt-et-un Tours de France au micro de la RTBF. Il n’y a rien de comparable à l’engouement que peut créer cette course. En Flandre, le vélo est une véritable religion ».
On ne laisse pas un demi-Dieu boire une bière seul
Dans cette partie du pays autrefois paysanne et ouvrière, la bicyclette a longtemps d’abord représenté un moyen de locomotion. Sur les routes sinueuses, humides et ventées, des générations se sont forgé des mollets taillés pour battre le pavé des innombrables côtes qui surgissent de la terre grasse et riche.
La région s’est depuis embourgeoisée mais les courses locales continuent d’y pulluler. On s’y presse en famille comme il y a des dizaines d’années et les champions du coin sont des idoles locales. « Ça s’appelle d’ailleurs des kermesses car ce sont à l’origine des fêtes foraines, explique le Wallon Maxime Monfort de l’équipe belge Lotto-Soudal. Il y avait trois manèges sur la place, le bal du village et la course de vélo l’après-midi ».
En Flandres, Johan Museeuw, Tom Boonen ou Peter Van Petegem sont des héros vénérés, des demi-dieux dont la vie a changé dès lors qu’ils ont commencé à collectionner les classiques à domicile. Au point de ne plus pouvoir commander une bière au bar sans que quelqu’un n’offre une tournée générale en leur honneur. On ne laisse pas un demi-Dieu boire, une « pintje », tout seul.
Van Impe attend un successeur mais…
Champion du monde en 2012 et vainqueur de quatre « des cinq Monuments » du cyclisme, Philippe Gilbert fait partie de cette caste. « Phil, je le connais depuis que je suis ado et il n’a plus de vie en Belgique, sourit Maxime Monfort. Hormis la raison financière, c’est pour cela qu’il s’est installé à Monaco où il se fond dans la masse. Ici, il ne peut pas mener une vie quotidienne normale. Il est comme une rock star ».
Un statut auquel peut aussi prétendre Lucien Van Impe. Le dernier vainqueur belge du Tour de France en 1976 regrette d’ailleurs de ne jamais avoir remporté une classique mais reste impressionné par la place qu’occupe le vélo dans son pays. « Les deux sont indissociables, explique l’ex-coureur de 72 ans. Le cyclisme est vraiment le sport n°1, tout le monde fait du vélo et il y a des courses partout. Les enfants rêvent tous de compétition. Il y a tellement d’ambiance au bord des routes. Venez voir le Tour des Flandres et vous comprendrez ! Pour le Tour de France en revanche, cela fait 43 ans que j’attends un successeur. Malheureusement, ce ne sera pas encore pour cette année ».
Mais est-ce que ses compatriotes en auraient vraiment envie ? « Pour ma part, je préférerais gagner le Tour des Flandres », conclut Naesen. Parole de Belge.