Crises et luttes au Maghreb
’ Tu ne peux pas être au dessus de ton temps, tu seras au mieux de ton temps.’’ Friedrich Hegel (1770 – 1881)
La crise politique et sociale du Maghreb ressemble étrangement à une crise d’adolescence : l’éveil de la démocratie sociale, caractérisé par le rejet des injustices de l’autorité et un fébrile besoin de liberté et d’affirmation de soi, rapprocherait-il la collectivité maghrébine du stade adulte ?
Depuis leur indépendance, les pays du Maghreb ont toujours été régis par des régimes monarchiques et républicains autoritaires. Toutefois, cette forme de gouvernement qui devient obsolète est en train de disparaitre bon gré mal gré dans tous les pays de la rive sud du bassin méditerranéen. Et pour éviter la formule républicaine héritée de la révolution française, l’Etat marocain doit absolument revoir la copie de sa constitution pour composer, comme ce fut le cas avec le parlementarisme anglais ayant abouti à la monarchie parlementaire.
Les populations maghrébines voudraient vivre en démocratie tout en étant dirigés par des représentants librement choisis et non pas durement imposés. Ce choix de gouvernement est une des idées chères à notre temps. Cette impressionnante unanimité dans l’évolution procède, malgré la variété des applications d’un pays à l’autre, d’une aspiration fondamentale : l’affranchissement des masses laborieuses, ou, si l’on veut, le refus catégorique du dualisme social ; en clair, le souci pour le bien public, en étendant ce terme à toute la communauté et surtout à ses classes inférieures. Grâce à la mobilité sociale de celles-ci, leur progéniture acquiert de plus en plus d’influence dans la gestion des affaires de l’Etat non seulement par le recrutement à des postes importants, mais aussi par des actes politiques et l’emprise de l’opinion publique. Mais paradoxalement, en même temps que s’élevait l’irrésistible vague démocratique, s’affirmaient davantage les mouvements de tendance ‘’islamiste’’ étroits et exacerbés : le ‘’P.J.D’’ et ‘’Justice et Bienfaisance’’ au Maroc, le F.I.S en Algérie, ‘’Ennahda’’ en Tunisie, les Frères musulmans en Egypte, et autres mouvements islamistes en Libye…
Par ailleurs, au sortir du colonialisme, les Maghrébins qui voulaient s’émanciper et s’affranchir du joug de celui-ci n’avaient guère pris conscience de leur solidarité au-delà des frontières superficielles que le colonialisme leur avait léguées ou plutôt imposées. On pourrait même dire que le nationalisme et le chauvinisme constituèrent des obstacles insurmontables pour la démocratisation du Maghreb.
Ainsi, le premier conflit qui avait eu lieu en 1963 entre l’Algérie et le Maroc (la guerre des sables) consacra le triomphe des nationalismes et du chauvinisme, en même temps qu’il sonna plus tard l’heure du conflit relatif au Sahara marocain. Grâce à l’impossibilité de vivre avec des structures permettant entente et intégration régionales, la soi-disant souveraineté des Etats des pays du Maghreb, dogme absolu hérité du colonialisme dut battre tout projet régional maghrébin.
Aussi n’est-il pas temps pour les pays du Maghreb désagrégé et ‘’sclérosé’’, de commencer à entamer leur processus d’intégration socio-économique et de s’organiser dans un cadre de coopération, de collaboration et de partenariat avec les pays de la rive nord du bassin méditerranéen pour devenir un pôle économiquement fort, concurrentiel, indépendant et résilient, sans quoi tout le Maghreb sera systématiquement happé et ‘’phagocyté’’ par le ‘’Terminator’’ de la mondialisation..
En résumé, force est de constater qu’autant la période qui allait des années 20 aux indépendances était pour les nationalistes maghrébins profondément imprégnée d’une solidarité et d’une culture régionale commune, autant l’histoire postcoloniale du Maghreb sera par la suite celle de la fragmentation de cette culture et de la destruction de l’espoir qui la portait.
Les élites dirigeantes maghrébines postcoloniales qui ont mené jusqu’à son terme ce travail de sape et de démantèlement de projets d’intégration socio-économique, politique, culturelle maghrébine qui réunissaient toutes les conditions de réalisation de cette culture maghrébine commune, ne partagent-elles avec l’ancienne puissance coloniale, l’entière responsabilité de cet échec ? Hegel avait écrit quelque part : ‘’ Tu ne peux pas être au dessus de ton temps, tu seras au mieux de ton temps ’’. Les élites maghrébines n’ont-elles pas présenté dans ce domaine le pire, en étant en de ça de leur temps.