Au Maroc, le calvaire d’une adolescente séquestrée et violée, symbole d’une violence chronique
Séquestrée, tatouée, torturée et violée quotidiennement pendant deux mois par quatorze hommes. Ce récit sordide agite le Maroc depuis une semaine. La victime, Khadija Okkarou, 17 ans, est originaire de Fkih Ben Salah, une petite bourgade isolée du centre du Maroc. Dans une vidéo publiée le 21 août , la jeune fille a suscité l’émotion de tout un pays en témoignant à visage couvert des violences multiples dont elle a été victime : « Ils m’ont séquestrée pendant près de deux mois, violée et torturée, (…) je ne leur pardonnerai jamais, ils m’ont détruite », confie-elle, caméra fixée en gros plan sur les brûlures de cigarettes, croix gammées et insultes graveleuses tatouées ; stigmates des sévices infligés . « Je n’arrêtais pas de pleurer et j’ai essayé de fuir à plusieurs reprises, mais ils ont réussi à me rattraper », précise-t-elle à l’hebdomadaire Telquel Après plusieurs semaines de torture, « sans manger ni boire », la jeune fille a finalement fait le choix de briser le silence, malgré la volonté de ses bourreaux de trouver un accord familial pour ne pas médiatiser l’affaire.
Dans la foulée de cette prise de parole inédite, une vague de mobilisation et d’indignation a envahi les réseaux sociaux, Twitter en tête. Le hashtag #JusticepourKhadija, accompagné d’un dessin de femme dénudée, tatouée et le regard barré d’un bandeau « SOS », est devenu viral.
Une pétition adressée au roi Mohamed VI a par ailleurs été lancée le 26 août pour exiger une aide immédiate à la victime. Pour l’heure, plus de 17 000 signatures ont été recueillies. L’initiative est notamment portée par le tatoueur tunisien Wachem, « Fawez le tatoueur », qui s’est engagé à recouvrir par son art les traces laissées par les agresseurs sur le corps de la jeune fille.
Sur les quatorze auteurs présumés, douze ont d’ores et déjà été arrêtés, et devrait comparaitre dès le 6 septembre devant le tribunal de première instance de Casablanca. Parallèlement, l’Etat, qui n’a réagi que le 26 août face à l’ampleur du phénomène, a décrété la mise en place d’un comité régional et d’un suivi psychologique pour Khadija et ses proches.
Une violence (e)ncrée ?
Le corps de Khadija, criblé de cicatrices et de tatouages, « est le témoin d’une violence ancrée dans les mentalités », déplore Bouchra Abdou, directrice de Tahadi, une association de soutien aux femmes victimes de violence située dans un quartier pauvre de Casablanca.
Interrogée par Marianne, la militante alerte aujourd’hui sur le manque criant d’éducation d’une grande part de la population sur une problématique pourtant majeure. « Il est vrai que le Maroc, en comparaison aux pays arabes voisins, offre davantage de libertés et de garanties aux femmes. Mais sous couvert d’être un Etat qui se veut être l’égal des pays occidentaux sur le sujet, les faits concrets tardent à se faire sentir. Les violences sexuelles restent minimisées, qu’on se le dise », constate la militante. Pour preuve, Bouchra Abdou affirme que le nombre d’affaires de viols traitées par la justice marocaine a doublé en 2017, passant de 800, en moyenne, à 1 600 : « Les cas de violences sont en constante augmentation, avec des méthodes chaque fois nouvelles et plus agressives ».