L’administration marocaine (Troisième partie)

Nous avons rappelé dans la précédente partie de cet article qu’avant de procéder à la réforme administrative, il faut d’abord commencer par l’Etat en dotant le royaume d’une nouvelle constitution fondée sur la monarchie parlementaire où l’institution royale aura sa place, toute sa place, rien que sa place sur l’échiquier politique marocain, à côté des autres institutions de l’Etat reflétant fidèlement les aspirations de toutes les couches du peuple marocain. Car la crise que connait aujourd’hui l’Administration publique au Maroc n’est que le reflet de l’état de l’Etat marocain. Ainsi continuons-nous dans cette troisième partie de cet article, à traiter la question de la réforme de l’Etat avant d’aborder celle de l’administration.

Réforme de l’Etat

En ce début du 21ième siècle, la crise de l’Etat est universelle. Elle résulte de la révolution des activités humaines à laquelle nous assistons : élimination progressive des activités d’exécution, la transformation des pratiques managériales de gestion, d’administration, et du cycle économique qui les accompagnent. L’Etat bicéphale (voir la partie précédente de cet article) du royaume du Maroc est touché à deux niveaux à la fois. Grignoté vers le haut par l’aliénation de plus en plus importante de sa souveraineté en devenant membre d’organisations régionales et internationales qui limitent ses compétences dans des domaines déterminés mais de plus en plus étendus (U.A, CEDEAO, Nations Unies, Organisation mondiale du commerce, FMI…), par la mondialisation qui constitue pour l’Etat, à la fois de nouvelles possibilités de croissance économique, de création de richesses et d’emplois, mais aussi de nouveaux défis, et vers le bas par la dynamique démographique, par l’extension des droits des individus et des groupes, par l’augmentation de la superficie du territoire nationale à la suite de la libération et la récupération des régions du sud, par les collectivités locales qui aspirent de plus en plus à la décentralisation des compétences économiques.

Aussi l’Etat marocain bicéphale semble-t-il se rétrécir de toutes parts dans ses attributions institutionnelles. La décadence de ses pouvoirs traditionnels est visible partout par les graves dysfonctionnements que nous constatons depuis quelques années et qui gangrènent l’Etat marocain : incompétence, incohérence, sabotage, corruption, paupérisation, clochardisation dramatique d’une population de plus en plus nombreuse, des mendiants et des colporteurs présents dans toutes les villes, manifestations et rassemblements presque quotidiens destinés à exprimer publiquement des revendications sociales dans les rues

Les Marocains croient de moins en moins à la crédibilité de l’Etat qui, à leurs yeux, ne joue plus son rôle dans le développement des modèles d’intérêt général fondés sur des raisonnements en système et non plus en hiérarchie. Lasingularité du Maroc dans ce domaine, c’est l’attachement de l’Etat aux anciens modèles makhzéniens, qui est dû bien sûr aux forces de résistance et d’hostilité de ses propres modèles ‘’élitistes’’, hiérarchiques et corrompus, à la modernité institutionnelle du royaume.

Le modèle social de l’Etat est fondé sur l’existence d’une élite choisie trop tôt, souvent sans expérience pratique, qui a vocation à occuper les grands postes de l’Etat et les affaires. L’écart entre cette élite et le reste des cadres intermédiaires et subalternes de l’Etat entraine naturellement une tendance au comportement hiérarchique qui reste le seul moyen pour l’élite de peser sur la réalité. D’où la difficulté à s’affranchir de la tradition du pôle makhzénien de l’Etat. Toutefois, ce modèle trouve également sa source dans les pratiques de formation de cette élite, qui consistent en les connaissances théoriques et les raisonnements abstraits fondés sur la priorité de l’idée et un certain mépris pour la mise en œuvre, qui ne correspondent nullement et aucunement aux réalités du terrain.

C’est pourquoi la réforme de l’Etat qui est une étape préalable nécessaire à la réforme de l’administration au Maroc est essentielle. Cette réforme ne pourra réussir que si le royaume s’ouvre aux échanges dans le grand mouvement de réforme de systèmes planétaires que la mondialisation est en train d’accomplir avec la rénovation des politiques publiques internationales, à partir de techniques de communication, d’écoute, d’échange et d’analyse permettant de meilleures prises de position et de décision d’une part, et un feed-back et une évaluation de leurs résultats, d’autre part, à l’échelon mondial.

Au lieu de revendiquer l’exception, le repli, l’isolement, leMaroc doit à tout prix jouer son rôle de partenaire actif d’un changement majeur de civilisation. Cette ouverture au changement doit créer un climat ouvert à la recherche, à l’expérimentation, et à l’innovation. Comment et par quels moyens ? Par la rénovation du système des grandes écoles (qui forment les ingénieurs), des universités, et surtout de l’E.N.A,qui doivent devenir des foyers de recherche, de conseil et de formation. Cette rénovation consiste à donner un enseignement fondé sur des modèles de raisonnement concret en rapport avec les réalités du terrain. Quant à l’ENA, Elle ne doit prendre que des étudiants plus âgés ayant une demi-dizaine d’années d’expérience, et dont l’enseignement soit focalisé sur la discussion et l’échange relative à des expériences vécues dans le travail.

La formation en question doit avoir pour objectif l’apprentissage d’abord de l’écoute (à propos, les responsables marocains sont formés soi-disant à tout savoir, donc à ne pas écouter : les événements du Rif et de Jérada nous l’ont bien mis en évidence), ensuite de l’analyse et enfin de la stratégie. Les élèves devraient, d’autre part, apprendre sur le terrain les techniques d’évaluation et les modes de réflexion stratégique pour la préparation des décisions et la liberté d’agir.

En résumé, les évolutions que je me suis borné à rappeler, montrent que la notion d’Etat a changé sous l’influence desnécessités nationales et internationales dont le Maroc doit absolument tenir compte, et ce en dépit des résistances du pôle makhzénien de l’Etat. Et pour préserver au mieux les intérêts de la nation, mais dans le cadre de l’intérêt général et du respect des traités, il convient au pôle makhzénien de ne pas oublier que le succès de la politique moderne va de pair avec une crise de la politique et, par voie de conséquence, de l’Etat.De même, ce même pôle makhzénien moyenâgeux doit avoir à l’esprit que la réforme de l’Etat s’impose comme elle s’est toujours imposée aux entreprises publiques ou privées qui sont en première ligne dans la compétition mondiale. Lorsqu’une entreprise ne s’adapte pas, lorsqu’elle ne modifie pas sa stratégie, sa structure, sa gestion, son management, elle disparait, concurrencée par d’autres entreprises plus compétitives, tandis que l’Etat demeure, avec une structure, des moyens, des procédures de décision inadaptées qui handicapent le potentiel productif du royaume.

A suivre…

Saïd CHATAR

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