Quel avenir pour le « parti Islam » qui veut implanter la « charia » en Belgique ?
Début avril, les membres du parti belge ISLAM ont révélé leur programme. Cette annonce a déclenché de vives polémiques dans le plat pays et relancé le débat sur l’inscription de la laïcité dans la Constitution.
Et si, avec son roman Soumission, Michel Houellebecq n’avait pas décrit l’avenir de la France, mais celui des belges ? Évidemment, on est encore très loin d’un tel scénario. Mais le parti politique belge ISLAM (Intégrité – Solidarité – Liberté – Authenticité – Moralité) fait parler de lui outre-quiévrain ces derniers temps. En cause, un programme électoral fondé sur les principes du coran et de la charia visant à instaurer une « démocratie islamiste », qui n’est pas sans rappeler l’ouvrage de l’écrivain français.
Créé officiellement en 2012 pour les élections communales, ISLAM reprend surtout les idées de Noor, un parti chiite de la fin des années 1990 qui a connu un succès bien plus modeste. Il faut dire que derrière les deux mouvements, on retrouve le même homme: Redouane Ahrouch. Et même si la majorité des musulmans belges sont sunnites, ISLAM s’adresse à tous, et entend « militer pour le droit de tous les musulmans ».
Mais derrière les apparences de façade et les déclarations lisses, notamment sur le site web d’ISLAM, les propos sont bien plus radicaux. En fait, c’est à partir des élections en tant que conseillers municipaux de Redouane Ahrouch (4,13%) à Anderlecht et de Lhoucine Aït Jeddig à Molenbeek-Saint-Jean (4,12%) en 2012 que le parti bascule. S’il ne revendiquait jusqu’ici « que » la distribution des repas halal dans les cantines, l’autorisation du port du foulard à l’école et l’accord de jours de congés confessionnels, le parti durcit sa ligne après ce modeste succès. Suffisant pour perturber le paysage politique belge, puisque certains députés ont réclamé que les deux élus d’ISLAM n’accèdent pas à leur fonction. Une pétition avait également été lancée, mais elle a surtout permis d’accroitre la notoriété naissante de ce mouvement islamique.
La laïcité de la Constitution au coeur des débats
Cette affaire soulève une question essentielle du système politique belge: peut-on interdire un parti politique ? Même si la possibilité juridique n’existe pas pour les partis extrémistes – contrairement à l’Allemagne – le débat est lancé. « Cette volonté d’interdire, on la retrouve dans différents camps. Autant à gauche qu’à droite », explique aux Inrocks Nicolas Baygert, docteur en sciences de l’information et de la communication. « La ville de Mons a par exemple interdit toutes les manifestations de ce mouvement. Des personnalités publiques veulent interdire cette formation. Alors qu’il ne s’agit encore que d’un micro-parti. »
Or, si ISLAM est interdit, il faudrait également interdire l’extrémisme de droite. « Les leaders politiques cherchent à inscrire la laïcité dans la constitution. La Belgique est un état neutre, pas un état laïque. Cela devient un outil pour atteindre d’autres objectifs », affirme Nicolas Baygert. « On est dans une sorte de grand flou. »
Comment va réagir l’électorat musulman ?
La formation prend de l’importance alors que les élections communales et provinciales (octobre 2018) ainsi que les législatives fédérales belges (mai 2019) approchent à grand pas. Si en 2012 il n’y avait que trois candidats, ils seront cette fois vingt-huit. Une proportion qui reste dérisoire par rapport aux 589 communes de Belgique, mais qui démontre la progression d’ISLAM. « Cela ne représente pas grand chose encore », note Nicolas Baygert. « Mais ils se présentent dans des communes symboliques, des villes importantes. » Comme à Bruxelles par exemple, où le parti sera représenté dans quatorze listes sur les dix-neuf possibles.
Pour le spécialiste, l’intérêt de l’élection va être de voir si « l’électorat musulman va quitter les partis traditionnels pour rejoindre ISLAM », une formation « peu intelligible mais à la ligne politique facilement identifiable » qui mise surtout « sur la carte identitaire et le clientélisme communautaire ». Car « en Belgique, il n’y a pas de réel modèle d’intégration, contrairement à la France. Il y a une incapacité des autres partis politiques à énoncer un projet clair à ce sujet. C’est un terrain vacant de la politique belge, dans lequel ISLAM compte s’inscrire. » En témoigne les propos du président du parti, Abdelhay Bakkali Tahiri, qui estime lui que « les musulmans sont trop souvent vus comme des citoyens de second rang ».
De nombreuses réactions
Jusqu’à présent, « les partis de gauche arrivaient à intégrer cet électorat musulman. Désormais, ils ont peur de perdre ce marché. ISLAM est un parti qui pousse les autres dans leurs retranchements. Il les mets mal à l’aise », analyse Nicolas Baygert. Surtout que les questions d’identité et d’intégration se profilent comme les thématiques principales de l’élection. « C’est quelque chose de nouveau en Belgique. Le succès de la N-VA (Nieuw-Vlaamse Alliantie, parti de droite séparatiste très conservateur, ndlr) impose ce sujet, qui devient un véritable levier stratégique, dans le champ politique ».
L’annonce de quelques éléments du programme d’ISLAM a suffi à enflammer la Flandre. « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme autorise l’interdiction des partis qui s’opposent aux droits libéraux et à la démocratie », a précisé le porte-parole de la N-VA, Joachim Pohlmann, à Belga. « Nous avons encore trop souvent des problèmes avec les principes fondamentaux des Lumières et ne les appliquons pas tous de manière cohérente, mais je propose de le faire », a quant à lui affirmé, Patrick Dewael, le chef de groupe Open Vld (socio-libéraux, ndlr) à la Chambre. Sur Twitter, le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Theo Francken (N-VA), a fustigé ISLAM.