Du Parc Maximilien à l’hôtel Mozart 2/2 :
un chemin semé d’embuches !
Ahmed Ben Abderrahman dit tout haut ce que d’autres pensent tout bas.
Le propriétaire de l’hôtel Mozart, n’hésite pas à prendre les problèmes à bras-le-corps et avec un langage vrai.
Un entretien vrai et authentique avec le polyglotte Ahmed Ben Abderrahman.
Ben, un homme de cœur et de paix qui dit les choses tel quel.
Aljalia News : Certains disent que les réfugiés sont mal protégés, qu’en pensez-vous ?
A. B. A : Ils ont raison. On peut reprocher la persistance de certaines discriminations dans les choix d’intervention. Le manque de protection voire de contrôle sur des sollicitations multiples et douteuses dont sont l’objet certains réfugiés (par exemple, sur le plan des tâches à effectuer – certains en profitent pour se procurer de la main d’œuvre à bas prix , c’est de « l’esclavage en silence » – ou des sollicitations « d’ordre sexuel » : des jeunes hommes sont parfois sollicités en fin de journée par des dames âgées en manque de compagnie qui viennent « choisir » leur hôte de la soirée). Est-ce qu’on vient pour aider, ou pour trouver un prétexte et …se servir ? Je trouve cela totalement inadmissible et honteux. Plusieurs réfugiés, par définition fragilisés, m’ont en effet confié des témoignages de ces sollicitations diverses et inacceptables. Il faut les protéger car leur désarroi les égare parfois.
Au parc Maximilien, ces faits sont connus de tous, réfugiés et bénévoles !
Aljalia News : Que penser alors des actions menées au départ du Parc Maximilien ?
A. B. A : On peut se réjouir généralement de cet élan spontané de personnes, de familles qui tiennent à s’engager et qui accueillent très utilement des personnes en détresse ou en besoin. Nous appelons cette solidarité de nos vœux depuis si longtemps. Certaines initiatives ont même dépassé les espérances. Je rencontre ainsi chaque jour aussi, sur place, ces personnes qui donnent au mot accueil tout son sens.
Bien sûr je ne parle pas de quelques exemples de personnes qui à une ou deux heures de route accueillent à 22h pour une nuitée seulement un réfugié qu’ils redéposent à 6h du matin et semblent se donner ainsi bonne conscience sans vouloir ou pouvoir aller au-delà.
Aljalia News : On a entendu des critiques à propos de certaines associations ? Qu’en pensez-vous ?
A. B. A : Les associations ont le mérite d’un engagement clair et une certaine expérience, ne serait-ce que dans leur rôle d’intermédiaire. Leur tâche demeure d’autant plus indispensable qu’apparaissent des carences ou des insuffisances des autorités publiques. Dans l’ensemble, la sincérité et la bonne volonté prédominent.
Aljalia News: Certains semblent sceptiques à propos de l’action de la « Plate-forme citoyenne » ?
A. B. A : L’appellation « Plate-forme citoyenne » inspire confiance et se veut rassurante, certains animateurs pourtant le sont moins. Certes, il n’est pas question de douter de l’engagement proclamé mais de rappeler que « personne n’a le monopole du cœur » et qu’il faut parfois regretter que des bonnes volontés réelles soient mal comprises, sous-estimées ou ignorées par ce qu’elles n’ont pas sollicité le label «plate-forme ». Ce qu’il faut c’est de la transparence et de la sincérité dans les actes. Je le ressens à chacune de mes venues au parc. Le dialogue s’installe automatiquement et naturellement sans doute aussi en raison de ma connaissance de la langue, de mon expérience et d’une simplicité que je partage avec tous.
Aljalia News .Vous gardez quelque amertume à l’égard de la Plate-forme ?
A. B. A : J’aurais pu l’être, pas pour moi-même mais pour les réfugiés. J’ai effectivement dû regretter que la responsable de la plate-forme, alors que j’étais là comme chaque soir, m’annonce la fermeture du parc les 24, 25 et 26 décembre et l’inutilité de ma présence !? C’est au point que j’ai dû lui demander qui lui avait donné la clef du parc alors même que le nombre des réfugiés était si portant. Heureusement, malgré cette injonction incompréhensible, nous avons pu accueillir, ces jours- là respectivement 60, 90 et 80 personnes du parc qui sans cela se seraient retrouvées dans le froid de la rue.
Aljalia News : Mais quels sont les reproches que vous semblez avoir à faire à propos du porte- parole ?
A. B. A : Je ne veux pas de polémique avec M. Mehdi Kassou et ma personne ne compte pas mais je regrette que ce porte-parole ne me téléphone que pour pouvoir enregistrer le nombre de personnes accueillies chez nous et sans doute l’ajouter au résultat global …et me gommer. Nous espérions plus de coopération, de transparence et de sincérité mais hélas rien ou presque …quelques sms tardifs, laconiques, sans bonsoir ou bonjour, avec comme seuls messages des demandes sèches de chiffres ou de statistiques… sans reconnaissance aucune. Mais je ne me suis pas arrêté à cela et j’ai continué mon action de plus belle.
Je dois avouer aussi que je n’ai pas du tout apprécié non plus la violence de M. Kassou à mon égard lors d’un rassemblement au parc face aux équipes de la RTBF. Pour faire place et sans doute être sûr d’être mieux vu, il m’a écarté d’un coup de coude dans les côtes…et je ne crois pas être le seul à avoir subi son humeur. C’est sans doute quelqu’un qui a l’habitude du cinéma. Si à certains moments il donne à penser qu’il s’occupe davantage de son image que des personnes qui ont besoin du soutien de tous, ses gestes le trahissent.
Un soir, il m’a rendu visite avec un jeune adolescent de 16 ans qu’il me demandait d’héberger. Je l’ai fait volontiers mais je m’étonne qu’il n’ait pas pu trouver de place chez lui alors qu’il dit à tout le monde qu’il héberge chez lui.
Aljalia News : Et outre ces mésaventures, il y a aussi d’autres bonnes volotés animées par des comportements sincères et inspirants ?
A. B. A : Bien sûr, je veux ici rendre un réel hommage à un acteur primordial de la Plate – forme, le coréen Yoon DAIX. En toute simplicité, il se dépense sans compter et fait rayonner le respect des valeurs et des humains dont il se soucie. Je veux citer aussi Madame Alexandrine DIEZ, qui offre le même dévouement. Ce sont des exemples qui devraient inspirer tous ceux qui veulent agir en cette matière. Ces deux personnes auront toujours mon écoute et ma porte ouverte quand elles font appel à moi. Mais à part elles, les autres me semblent subjuguées plus qu’engagées.
Aljalia News: En conclusion que proposez-vous?
A. B. A : Nous devons tous avoir une seule volonté : « continuer le combat » au quotidien tant que cela sera nécessaire et tant que nous le pourrons. Seul nous pouvons peu mais en unissant nos efforts nous pouvons plus.
Nous devons témoigner de notre esprit de partage et du fait qu’il est possible pour chacun d’agir pour autrui. C’est dans cet esprit qu’il m’arrive régulièrement de faire découvrir par les clients de l’hôtel, les conditions dans lesquelles les réfugiés doivent évoluer et ce que nous leur offrons à l’hôtel pour les aider.
Vous savez, j’ai pu me construire dans la simplicité et la clarté. J’aspire tout simplement à mettre cette expérience au service de la cause des réfugiés. A mon âge (63 ans) je me sens redevable d’une certaine manière à la Belgique. J’estime qu’il est de mon devoir d’en promouvoir et d’en protéger les valeurs qui ont permis et guidé mon évolution.
Les résultats, qu’avec nos seuls moyens, nous obtenons me font oublier toutes les fatigues et me procurent une expérience unique de l’humain. Je ne demande qu’à la mettre au service du plus grand nombre.
La réussite ne tient pas d’une comptabilité matérielle, mais de la finalité de nos actes : leur conformité à nos valeurs. Je suis heureux qu’avec l’aide des médias, nous ayons pu faire réfléchir nos concitoyens et que notre modeste exemple d’action et d’organisation ait pu inspirer d’autres bonnes volontés.
La prise de responsabilités dans ce problème de l’accueil relève non seulement du devoir du cœur mais aussi de l’intelligence. Disant cela je pense à l’avenir de nos enfants et de la société dans laquelle ils vivront. Et puis, vous le savez, lorsque nous quitterons ce monde, nous n’emporterons rien, une raison de plus pour développer une générosité active, maintenant.
.Aljalia News: On vous a entendu dire qu’il faudrait fermer le Parc Maximilien ? N’est-ce pas paradoxal de votre part ?
A. B. A : J’ai le ferme espoir que nos actions soient utiles autrement qu’à court terme, que nos exemples à chacun alimentent les réflexions de nos responsables. Il y a urgence : nous parlons d’êtres humains fragilisés qui sont confrontés dans le parc Maximilien à une violence persistante, à l’alcool et à la drogue. Il s’agit surtout de jeunes livrés à eux-mêmes et en attente d’une main secourable. Ils ne peuvent en aucun cas servir de matière à slogan facile, ni être récupérés par des générosités qui se limitent au discours.
Il faudrait donc pouvoir fermer au plus tôt ce parc de la honte qui fait penser à l’esclavage. Le fermer au plus tôt pour ne pas en arriver à un autre Calais. Nous en sommes déjà au début et des réfugiés d’autres nationalités rejoignent le parc. La place qu’a occupée l’histoire du parc dans les medias et le « bouche à oreille » créent un effet d’appel qui provoque la venue de personnes d’autres horizons.
Ce n’est qu’en prenant les problèmes à bras-le-corps dans la clarté, en ayant un langage VRAI avec les citoyens que nous parviendrons à trouver les bonnes solutions et surtout à les mettre en œuvre.
Une Ville sans solidarité est une ville qui tombe. Cette solidarité est possible si nous agissons « ensemble », alors avec peu nous pourrons faire beaucoup.
Propos recueillis par
Mohammed Murabet
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