Le Parlement européen adopte à la majorité un texte défavorable au Maroc pour la première fois. Ce texte appelle au respect de la liberté d’expression et dénonce le sort des journalistes emprisonnés. Que signifie l’adoption de ce texte ? Décryptage.
356 voix pour, 32 contre et 42 abstentions. La résolution a été votée par la majorité des députés européens le 19 janvier à Strasbourg. Il s’agit d’un texte non-contraignant demandant aux autorités marocaines de “respecter la liberté d’expression et la liberté des médias” dans le pays. Les eurodéputés demandent aussi au Maroc de “garantir aux journalistes incarcérés (…) un procès équitable.”
C’est la première fois que le Parlement européen sanctionne le royaume à travers une résolution. Comment l’expliquer ?
Que dit cette résolution ?
Dans ce texte relativement court, les députés européens incitent “les autorités marocaines à respecter la liberté d’expression et la liberté des médias, à accorder aux journalistes emprisonnés, notamment Omar Radi, Soulaimane Raissouni et Taoufik Bouachrine, un procès équitable avec toutes les garanties d’une procédure régulière.” Les eurodéputés insistent en particulier sur le cas d’Omar Radi. Ce journaliste indépendant de 36 ans, connu pour ses positions critiques envers le pouvoir, a été arrêté en 2020 et condamné en mars à six ans de prison ferme pour “viol” et “espionnage”, accusations qu’il a toujours niées.
“De nombreux droits de la défense n’ont pas été respectés, ce qui entache d’iniquité et de partialité l’ensemble du procès”, considèrent les eurodéputés. Ils demandent la remise en liberté provisoire du journaliste, de même que celle de Taoufik Bouachrine, 54 ans, ex-patron de presse emprisonné depuis 2018 et de Soulaimane Rassouni, 50 ans, autre journaliste condamné à cinq ans de prison en 2022. Tous trois ont été condamnés pour des accusations à connotation sexuelle.
Par ailleurs, à travers ce texte, le Parlement européen “condamne fermement l’utilisation abusive d’allégations d’agressions sexuelles pour dissuader les journalistes d’exercer leurs fonctions” et “estime que ces abus mettent en danger les droits des femmes.”
Pourquoi est- elle adoptée en ce moment ?
Cette résolution fait également état de l’implication présumée du Maroc dans le scandale de corruption du Qatargate, qui ébranle le Parlement européen depuis décembre. Le Parlement européen se dit “profondément préoccupé” par “les allégations selon lesquelles les autorités marocaines auraient corrompu des députés au Parlement européen”.
Depuis le mois de décembre 2022, le Parlement européen est ébranlé par le Qatargate. Il s’agit d’un scandale de corruption visant des députés européens et impliquant le Qatar. Dans cette affaire, quatre personnes ont été placées en détention préventive en Belgique. Parmi eux, il y a l’eurodéputée grecque Eva Kaili, qui était vice-présidente du Parlement européen avant que l’affaire n’éclate.
Pourquoi le Maroc est-il impliqué dans le Qatargate ?
- Le 29 décembre 2022, le média allemand Der Spiegel révèle que le service des renseignements marocains (DGED) aurait été impliqués à un haut niveau dans l’influence des députés européens.
Selon le rapport, la DGED a eu des contacts dès 2019 avec l’ancien député italien Pier Antonio Panzeri, son assistant Francesco Giorgi (qui est aussi le compagnon de l’eurodéputée grecque Eva Kaili) et un autre député italien, Andrea Cozzolino.
Selon le quotidien belge Le Soir, Francesco Giorgi a affirmé aux enquêteurs avoir fait partie d’une organisation utilisée à la fois pour le Maroc et le Qatar dans le but d’intervenir dans les affaires européennes.
- Le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita estime que “le partenariat entre le Maroc et l’UE fait face à des attaques médiatiques répétées et des attaques, notamment au sein du Parlement”.
Tout comme le Qatar, le Maroc conteste fermement ces allégations de corruption. “Au moment où un grand nombre de membres du Parlement européen sont accusés de corruption, certains cercles hostiles au Maroc s’efforcent de jeter de la poudre aux yeux à travers une résolution rancunière”, estime une “source autorisée” au ministère des Affaires étrangères, citée par un média proche du pouvoir marocain.
Que répond le Maroc ?
À Rabat, la même source estime que “cette résolution s’inscrit dans le cadre des agressions et des tracasseries que subit le royaume de la part de ceux que le développement, la prospérité et la forte présence régionale et internationale du Maroc dérangent”.
“L’accroissement des pressions n’aura pas d’impact sur le Maroc (…) Il ne saura être effrayé ou intimidé”, ajoute cette même source. Les autorités marocaines assurent que la justice est indépendante et que les condamnations de journalistes “n’ont rien à voir” avec leur travail journalistique. Cependant, en juillet 2022, Human Rights Watch avait dénoncé le développement de “techniques sournoises de répression” envers les opposants.
Que signifie cette résolution ?
“Ce vote confirme qu’il s’agit bel et bien d’attaques contre des journalistes afin de les faire taire”, déclare le père d’Omar Radi, membre du comité de soutien aux journalistes emprisonnés au Maroc, dans une interview à Akhbarona Aljalia . “Nous réitérons notre appel à libérer les journalistes et les militants des mouvements sociaux (en détention) et à leur garantir le droit à des procès équitables dont ils ont été privés”, réagit Driss Radi.
“Après 25 ans de passivité”, le Parlement européen “met fin à une fâcheuse tendance qui consiste à exempter le Maroc de toute remarque sur les atteintes à la liberté de la presse et aux droits humains”, se réjouit Reporters sans frontières (RSF). Dans le classement de la liberté de la presse établi par RSF, le Maroc occupe la 135e place sur 180 pays.