Exécutif des Musulmans: l’Etat belge condamné pour avoir forcé l’ancien président Salah Echallaoui à démissionner

La rédaction

Le Tribunal de première instance de Bruxelles a donné raison à Salah Echallaoui, ancien président de l’Exécutif, qui avait démissionné de ses fonctions après une « injonction de démission ou de licenciement » du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne

Les décisions et propos de Vincent Van Quickenborne, le ministre de la Justice, envers Salah Echallaoui, ancien président de l’Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB), constituent, selon le tribunal de première instance de Bruxelles, des ingérences à la liberté de culte et d’association, des propos attentatoires à la réputation et une violation de la vie privée. Le jugement du 1er septembre est important politiquement parlant. Vincent Van Quickenborne a commis, juridiquement en tout cas, une faute. Pas moins.

En l’occurrence, tout remonte aux conditions dans lesquelles s’était déroulée la démission de Salah Echallaoui, le 15 décembre 2020, de ses différents mandats au sein d’organes de gestion du culte islamique de Belgique. A l’époque, Vincent Van Quickenborne, également en charge des Cultes, avait appelé début décembre à un renouvellement de tous les organes de l’EMB, après avoir émis un avis négatif concernant la reprise des activités de la Grande Mosquée du Cinquantenaire, à Bruxelles. Un avis de la Sûreté de l’Etat d’octobre 2020 pointait l’ingérence du Maroc dans la gestion de la Grande Mosquée de Bruxelles, soulignant notamment que trois agents des services de renseignement marocain y travaillent.

La Sûreté y précisait également que, depuis la mise en place d’un système d’imams attachés au service de la Grande Mosquée en 2019, elle n’avait plus détecté la présence de prédicateurs salafistes ni de prêches extrémistes et que la Grande Mosquée n’était pas « un vecteur structurel de diffusion de l’extrémisme religieux ». Salah Echallaoui a alors démissionné « sans reconnaissance de ces accusations infondées » et assigné l’Etat belge devant les tribunaux en mai 2021 pour comportement fautif de ses organes, à savoir la Sûreté de l’Etat et le ministre de la Justice.

Ingérence disproportionnée

Dans son jugement du 1er septembre, le Tribunal de Première instance de Bruxelles souligne, quant aux fautes allégées de la Sûreté de l’Etat, qu’à défaut de données précises quant à leur source ou origine, les informations recueillies par la Sûreté « sont assimilables à un renseignement anonyme dépourvu, comme tel, de valeur probante. Pareils renseignements doivent dès lors faire l’objet d’un usage particulièrement prudent ».

En l’espèce, le Tribunal estime que la demande de Salah Echallaoui mettant en cause la Sûreté est prématurée, dès lors que rien n’indique que l’ancien président de l’Exécutif n’ait interpellé le Comité permanent R, et qu’il n’appartient pas au tribunal de s’y substituer. Un appel du pied à peine caché du Tribunal à solliciter le Comité R, qui contrôle les services belges de renseignement.

Sur l’avis négatif du ministre, et sa décision de conditionner la concession sur le bâtiment de la Grande Mosquée à la démission d’Echallaoui, le tribunal y voit une ingérence sans fondement juridique et disproportionnée dans les libertés de culte et d’association de ce dernier, qui constitue « en réalité une injonction de démission ou de licenciement » affectant l’exercice de ses droits fondamentaux.

L’avis négatif et la décision du ministre étaient à l’époque motivés par le seul avis négatif de la Sûreté de l’Etat, dont il ressort pourtant, souligne le jugement, que l’OCAM et l’Office des Etrangers ont rendu un avis positif à l’égard de la Grande Mosquée, et alors que la Sûreté note elle-même l’absence d’éléments en lien avec l’extrémisme religieux depuis 2019. Notant la valeur probante des renseignements communiqués par la Sûreté comme « à tout-le-moins relative », l’avis et la décision du ministre ne constituent dès lors pas des comportements normalement prudents et diligents, lit-on encore dans un argumentaire aux mots très durs qui vise directement Vincent Van Quickenborne.

Atteinte à la réputation

Quant aux propos publiés par le ministre lui-même à l’ensemble des mosquées et figurant sur le site web de l’EMB, visant « une personne occupant une position clé au sein des structures de l’EMB, impliquée dans des activités d’espionnage et d’ingérence et démissionnaire », le tribunal les juge de nature à porter atteinte à la réputation de Salah Echallaoui. On lit aussi ceci : « Les seuls renseignements fournis par la Sûreté de l’Etat, sans autre élément permettant de vérifier leur véracité, ne suffisent pas à établir la réalité des faits d’espionnage et d’ingérence imputés à Monsieur Echallaoui. Dans ses conclusions, l’Etat belge admet d’ailleurs que l’avis de la Sûreté de l’Etat n’établit pas de lien entre Monsieur Echallaoui et des activités d’espionnage. »

Sur les déclarations aux médias du ministre, s’ils dépassent le principe de neutralité de l’Etat, celles-ci ne sont pas, en tant que telles, attentatoires à la réputation de Monsieur Echallaoui, qui n’est pas personnellement identifiable. Par ailleurs, l’Etat ne peut être tenu responsable du traitement par les médias des informations qu’ils se procurent.

Pour Marc Uyttendaele, qui défend dans cette affaire Salah Echallaoui, le jugement du Tribunal de Première instance est assassin. « C’est une vraie baffe envers le ministre de la Justice. On a présenté Monsieur Echallaoui comme quelqu’un qui faisait le jeu de l’action étrangère, qui voit désormais son honneur rétabli aujourd’hui. Lorsque je l’ai reçu la première fois, c’était un homme abîmé, dont l’action a été salie par des propos ministériels et qui devait se sacrifier à titre personnel dans les combats qui l’animaient. » Marc Uyttendaele a déjà annoncé qu’il comptait introduire une plainte auprès du Comité permanent R pour son client. Contacté, le cabinet de Vincent Van Quickenborne informe que le jugement ne lui a pas encore été signifié. Il précise néanmoins que « le ministre a fait ce qu’il y avait à faire, sur base du rapport de la Sûreté. Nous étudierons le jugement à la lumière de ces éléments et déciderons ensuite de faire appel ou non ».

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