Les Marocains bloqués à l’étranger se rabattent sur les jets privés

M24

Alors que les frontières sont fermées, que les vols commerciaux sont suspendus, les jets privés continuent de parcourir le ciel marocain. Médias24 a mené l’enquête auprès de compagnies d’aviation privées marocaines et européennes. Si vous êtes bloqués en France ou en Espagne, vous pouvez rentrer au pays à partir de 11.000 euros, prix de location d’un avion de 9 sièges. Détails.

L’information de la possibilité de rentrer au Maroc à bord d’un jet privé circule depuis des semaines sur les réseaux sociaux ; certains assurant qu’ils avaient pu rejoindre le Royaume en cotisant à 4, 6 ou 8 passagers pour louer un jet privé.

Les groupes WhatsApp de Marocains bloqués à l’étranger pullulent, partageant le bon filon avec les compatriotes bloqués, ou se réunissant pour s’acquitter du prix de location d’un jet privé.

Pour s’assurer de cette information et séparer le vrai du faux, on a contacté toutes les parties concernées. On s’est également inscrit dans l’un des groupes WhatsApp les plus actifs, dont les membres, Marocains vivant un peu partout dans le monde, recherchent des vols spéciaux à bas prix, et se regroupent pour partager la coquette somme que les compagnies d’aviation privées exigent.

11.000 euros pour un vol Malaga-Casablanca

Contactée par nos soins, une compagnie marocaine basée à Casablanca nous explique qu’elle peut nous obtenir un vol dès ce samedi matin, à partir de Malaga et à destination de l’aéroport marocain de notre choix : Casablanca, Rabat ou Tanger… On s’est fait passer bien sûr pour un client, Marocain bloqué à Paris désireux de rentrer avec sa famille – 4 passagers au total – de manière extrêmement urgente.

« Les seules disponibilités que nous avons, c’est à partir de samedi. Mais il faut nous envoyer vos passeports dès aujourd’hui pour que l’on puisse enclencher la procédure de demande d’autorisation auprès du ministère des Affaires étrangères. Une fois l’autorisation obtenue, dans 48 h ou 72 h au maximum, vous devez vous rendre à Malaga pour votre vol du samedi », nous explique la personne au bout du fil.

Et de préciser que « seules les personnes vaccinées avec un test PCR de moins de 24 h peuvent monter à bord, même si vous avez l’autorisation des Affaires étrangères ».

Quand on demande en quoi consiste cette procédure auprès des Affaires étrangères, la personne nous répond de ne pas nous inquiéter : « On s’occupe de tout. Il suffit de nous envoyer des copies de vos passeports. On vous aura l’autorisation entre 48 h et 72 h. »

Prix du voyage ? « 11.000 euros pour Casablanca, 12.000 euros pour Tanger et 11.500 euros pour Rabat », détaille notre interlocuteur. « Et c’est un avion Cessna d’une capacité de 9 personnes. Donc plus vous êtes nombreux, mieux c’est pour vous », nous précise-t-on.

Pourquoi Malaga et pas Paris ? Et pourquoi un Malaga-Tanger, distance très courte, coûte plus cher qu’un Malaga-Casa ? Réponse : « On opère depuis Malaga, car on n’est pas présent en France. Nos clients de France prennent des vols vers Malaga à 15 euros. Ce n’est rien. Et c’est rapide. »

Quant à la variabilité illogique des prix, notre source la justifie par le fait que la compagnie est basée à Casablanca. « Si on vous dépose à Tanger, l’avion doit repartir à Casa, où nous sommes basés. Ça coûte donc plus cher », explique-t-elle.

Selon cette source au sein d’une compagnie marocaine ayant pignon sur rue, la demande est devenue très forte sur ce genre de vol depuis la décision du Maroc de fermer ses frontières pour se prémunir contre l’Omicron. « Nous faisons des vols spéciaux tous les jours. On fait au moins 4 à 5 vols par jour », révèle notre interlocuteur, comme pour nous rassurer.

12.000 à 16.000 euros pour un Cessna de 5 à 8 personnes à partir de Paris

Voici pour la compagnie marocaine qui n’effectue que des vols à partir de Malaga, mais s’occupe de toutes les procédures administratives pour le compte de ses clients.

Pour vérifier s’il y avait d’autres offres sur le marché, nous avons contacté une des plus grandes compagnies d’aviation civile en France. Là aussi, les choses paraissent simples et routinières. Et rien n’est caché… la compagnie affichant sur son site web son offre de vol vers le Maroc depuis l’aéroport de son choix, avec la possibilité de réaliser des devis en ligne.

Au bout du fil, une commerciale nous répond que les vols sont disponibles tout le temps, et que la compagnie peut nous trouver un avion en 24 h depuis Orly, Charles de Gaulle ou Le Bourget. À condition, nous dit-elle, qu’on lui procure l’autorisation du ministère marocain des Affaires étrangères.

« On ne s’occupe pas des démarches administratives. C’est à vous d’initier la procédure. Mais une fois que vous avez l’autorisation, vous pouvez nous la transmettre et on vous trouvera un vol en moins de 24 h si vous le souhaitez », nous apprend la commerciale de la compagnie.

Prix pour une famille de 4 personnes ?  « Pour ce type de vol, il faut compter entre 12.000 et 16.000 euros. C’est une fourchette de prix pour des avions Cessna d’une capacité de 5 à 8 personnes. Le prix dépend du choix de l’avion. »

Le prix ici est plus cher, mais compréhensible. L’avion décollant directement de Paris avec une disponibilité en 24 h, sans l’obligation pour toute la famille de se déplacer jusqu’à Malaga, en Espagne.

Le « deux poids deux mesures » des autorités

Reste la question la plus importante ? Comment ces jets privés atterrissent-ils au Maroc alors que les frontières sont censées être fermées ?

Une source au sein de la Direction générale de l’aviation civile nous explique que cela n’a rien d’extraordinaire, puisque le gouvernement a spécifié, dès le départ, qu’il y aurait la possibilité pour des vols spéciaux d’atterrir au Maroc. Et ces vols en jet privé entrent justement dans la case « vols spéciaux ».

Que recouvre l’appellation « vol spécial » ? « C’est un terme qu’on utilise depuis le début de la pandémie, et dès la première décision de fermeture des frontières en mars 2020. En temps normal, un vol commercial ou un vol d’aviation légère passait par la Direction générale de l’aviation civile pour son autorisation d’atterrissage. Mais depuis le Covid, et la décision du gouvernement, les autorisations passent par le ministère des Affaires étrangères. C’est ce qu’on appelle des vols spéciaux, car il faut absolument une autorisation des Affaires étrangères pour atterrir et entrer sur le territoire », explique notre source.

Une fois le sésame des Affaires étrangères accordé aux compagnies concernées, la Direction de l’aviation civile n’a plus son mot à dire. Même si elle continue de mener son travail normal de contrôle du volet technique des avions, des qualifications des pilotes, du personnel passager…

Et ce n’est pas un phénomène nouveau, ajoute notre source. « Depuis la fermeture des frontières, des vols en avions légers atterrissent tous les jours dans tous les aéroports marocains, car le gouvernement a permis cela et a mis en place une procédure spéciale. Ces vols viennent généralement de Malaga vers Casablanca, Marrakech, Tanger… avec des capacités de 8 à 9 passagers par avion. »

Nous avons contacté les services du ministère des Affaires étrangères pour connaître la procédure qui permettrait à un Marocain de rentrer au pays en jet privé, mais nous n’avons pas obtenu de réponse pour l’instant. Nous ne manquerons pas de la communiquer à nos lecteurs dès réception.

Ces vols spéciaux ont, en tout cas, permis à nombre de Marocains bloqués à l’étranger de rentrer chez eux. À un prix certes élevé (1.200 euros au minimum par personne pour un Cessna de 9 places), mais vu l’urgence de certaines situations, les gens sont prêts à payer le prix fort pour en finir avec cette situation ubuesque.

Mais cela pose une question d’éthique que l’on ne peut ignorer : payer au moins 1.200 euros pour un aller simple n’est pas donné à tout le monde, et reste donc un privilège dont seule une minorité peut bénéficier. Même si plusieurs personnes dans les groupes WhatsApp des Marocains bloqués évoquent la solidarité familiale qui leur a permis de réunir le montant nécessaire pour payer ces vols en jet privé.

Autre question qui se pose : pourquoi les autorités n’élargissent-elles pas cette procédure « spéciale », accordée aux compagnies d’aviation civile, à une compagnie comme Royal Air Maroc par exemple, pour lui permettre d’opérer, de rapatrier le maximum de gens et d’en finir définitivement avec ce problème ? Une question qui reste pour l’instant sans réponse.

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