Pourquoi tout le monde déteste les Algériens ?

Hebib Khelil

Les réactions ahurissantes, parfois grotesques, de beaucoup d’Algériens, au lendemain de l’élimination de l’équipe nationalede la Coupe d’Afrique des nations, montrent le degré de décomposition avancée du pays.
Pour expliquer l’échec, les télévisions abrutissantes, qui pullulent sous l’ombre de l’Algérie nouvelle, diffusaient des reportages, où l’on montrait, partout au pays, dans l’Algérie profonde comme sur sa croûte, des gens consternés et furieux criant au complot. Aucun doute, le pays est visé : la main étrangère a encore frappé !
On accuse tout le monde avec des termes blessants, à forts relents racistes, indistinctement, arrogamment, sans retenue, avec suffisance et prétention. On dénonce la Confédération africaine de football, le Maroc, le Cameroun, et les pays qui nous ont sportivement battus. Beaucoup ont vu, dans cette élimination précoce, la main du diable, les crampons des djinns, les balais des sorcières, le chamanisme des « Kahlouch » et les grigris des marabouts !
Les morts et les vivants, le monde visible et invisible, l’Afrique et l’Europe, tous se seraient ligués contre nous ! Contre le plus grand pays d’Afrique, la Mecque des causes justes, l’avatar de la Palestine, le bras armé d’Allah sur cette terre ! Dans chaque Algérien se cacherait-il un Tebboune qui s’ignore ? Dans chaque supporter, un Chenegriha ou un Calife en devenir ? Le pouvoir et le peuple fanatisés parlent-ils enfin d’une même voix complotiste ? Marionnettes et ventriloques en totale fusion.
Pendant le tournoi, des chaînes islamistes ont diffusé des reportages surréalistes, où exorcistes et charlatans, dépêchés en urgence au Cameroun, avaient pour mission de briser le sortilège dont serait victime l’EN d’Algérie qui n’arrivait pas à marquer. Mais, ni le Coran, ni les fioles d’eau bénite de Zemzem n’ont empêché l’humiliation.
Les crises collectives hallucinogènes et schizophréniques se mêlèrent à la déception de l’élimination. C’en est trop : les Fennecs et le saint Coran défaits, le pays et ses croyances tremblent ! Un journaliste sportif, pour montrer son attachement envers l’EN, a jugé bon, en direct, de déclarer, dans une incroyable digression, sa disponibilité à aller faire le Djihad en Palestine ! Quel rapport, me diriez-vous ? Aucun, juste une preuve d’amour !
Comment en est-on arrivé là, en 2022 ? À cette « tribu » de 45 millions d’habitants, outrageusement dévote, complètement sabordée par le sacré et le mythe ? À ces légions de nombrilistes, ces gens en marge du monde et qui se prennent pour son centre ? Au point de croire que matière et métaphysique feraient corps pour nous éliminer d’un simple tournoi sportif !
Dans le pays où l’échappatoire principale est le foot, la défaite est synonyme de retour à la réalité et au quotidien désenchanté. Ce que ne veut surtout pas le régime au pouvoir. Il lui est, en effet, très préjudiciable de revenir aux pénuries du lait et d’huile, à la pauvreté, au Covid-22, à l’effondrement du système de santé, aux manques de farine et de médicaments, à l’inflation, à la laideur des cités et douars, aux violences du quotidien, aux déchèteries sauvages, au rationnement de l’eau, au chômage, à l’ennui, l’arbitraire, aux détenus d’opinions, aux harragas… à l’enfer !
En France, où la communauté algérienne est forte, nombreux sont ceux qui souhaitaient la défaite des Fennecs. Par jalousie, envie, ou autre conspiration incongrue ? Non, mais simplement pour la tranquillité. La défaite épargne au pays des nuits d’agitation, des heurts, ou des voitures vandalisées.
L’image que renvoie l’Algérien à l’étranger est peu reluisante. Imaginons l’inverse, imaginons, qu’une forte communauté étrangère d’Algérie, marocaine par exemple, fête violemment les victoires de son équipe nationale. Quelle serait la réaction des Algériens ? Que feraient-ils ? Il est plus qu’évident que cela ne serait pas toléré, violemment réprimé et dégénèrerait probablement en affrontements ethniques.
La fabrique de l’ennemi, l’isolement, l’hyperreligiosité, et l’enfermement que vivent les Algériens, ont fait d’eux des êtres méfiants qui croient détenir et protéger le secret de la pierre philosophale et la fontaine de jouvence. 90 % des Algériens n’ont jamais voyagé, jamais vu une Suédoise ou une Suisse, et une Australienne est, pour eux, aussi exotique qu’un kangourou qui saute sur National Geografic Channel.
L’Algérie de 2022 s’enfonce, chaque jour un peu plus, dans son moyen-âge. L’islamisme la ronge et lui fait racler du front, cinq fois par jour, le fond du tapis de prière sur lequel on l’a assise depuis l’indépendance.
Les prières sont ce qui reste de mieux aux peuples qui attendent la mort, lorsqu’ils ont épuisé possible et espoir. Lorsque le sort d’un match est plus important que celui de 300 détenus d’opinion. Lorsqu’on ne respecte ni les vivants, ni les morts, ni les femmes, ni les croyances d’autrui, pour un pays si jeune, cela s’apparente à un infanticide. L’espoir, est-il encore permis ? Non, à moins d’un improbable miracle, car ce n’est pas l’espoir qui sauve, mais les actes qui le rendent possible.

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