Le Maroc devient-il une puissance montante en termes de drones ? Avec les dernières acquisitions par le royaume de ces appareils sans pilote, capables de mener des missions de surveillance ou d’embarquer des charges explosives, la flotte de drones des Forces armées royales (FAR) s’étoffe au gré des livraisons en provenance des États-Unis, d’Israël, de Turquie et même de Chine, et du projet de création d’une industrie à vocation exportatrice.

L’exemple du Haut-Karabakh

L’appétence des forces armées marocaines pour les drones n’est pas nouvelle. Leur première utilisation par les FAR remonte à 1986, lorsque l’armée de l’air a expérimenté le SkyEye R4E-50, un drone de surveillance produit par la firme britannico-américaine BAE Systems.

“Le Maroc est le premier pays de la région à avoir introduit un drone militaire dans son arsenal dans la seconde moitié des années 1980, rappelle Abdelhamid Harifi, chercheur sur les questions de défense. Depuis l’expérience de la guerre du Sahara (1975-1991), l’intérêt accordé par le Maroc aux drones n’a cessé de prendre de l’ampleur, car cet outil très efficace permet d’épargner des vies humaines et de limiter les pertes de matériels militaires”, complète-t-il. Entre-temps, le Maroc a acquis secrètement, ou discrètement, d’autres aéronefs sans passager ni pilote.

Mais c’est le théâtre d’opérations d’une guerre moderne de quarante-quatre jours, situé à plus de 6000 kilomètres du royaume, qui va peser dans le choix de la modernisation de la flotte de drones des FAR. “Au-delà de l’expérience au Sahara, avec les analyses faites lors de la guerre dans le Haut-Karabakh, le Maroc a mis l’accent sur des drones plus performants pour les missions de surveillance, la désignation de cibles pour l’artillerie, l’introduction de drones pour des missions de guerre électronique ou encore des drones à vocation d’attaque”, résume Abdelhamid Harifi.

Lors de la guerre dans le Haut-Karabakh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, en septembre 2020, les drones Harop israéliens et Bayraktar turcs auraient été un avantage décisif pour les forces azéries, notamment en causant des dommages importants en Arménie, malgré leurs équipements aériens et antidrones essentiellement russes. Au-delà de son aspect tragique, ce conflit, devenu un cas d’école pour les armées du monde, a aussi replacé le drone dans les conflits modernes.

“Une arme de rupture”

Pour Nizar Derdabi, analyste en stratégie internationale, défense et sécurité, l’intérêt du Maroc pour les drones réside non seulement dans les capacités ISR (intelligence, surveillance et reconnaissance), mais aussi d’attaques contre des cibles terrestres et maritimes, ou pour réduire les systèmes de défense anti-aériens ennemis. Si leur coût relativement accessible en comparaison d’avions de chasse a aussi pesé dans la balance, l’avantage de la formation au pilotage de drones et du renouvellement des équipes a fini de convaincre.

Ce choix procède aussi de la stratégie militaire. “Les FAR ont intégré le fait que le drone est l’arme de rupture par excellence dans les conflits futurs. Ainsi, dans la même démarche anticipative qui avait permis au Maroc de se doter de satellites de surveillance en toute confidentialité, le commandement des FAR a investi sur des armes et technologies militaires avancées telles que les drones bien avant les autres forces armées de la région. Ce qui leur procure un avantage tactique et stratégique déterminant”, souligne Nizar Derdabi, dans un entretien accordé à TelQuel.

La rupture des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie et le contexte acrimonieux qu’elle a entraîné font peser des risques d’un conflit entre les deux voisins maghrébins qui inquiètent autant la presse que les opinions publiques. Au plus fort des tensions qui vont crescendo, la presse espagnole rapportait, photos à l’appui, le déploiement de missiles algériens à la frontière avec le Maroc.

Selon Abdelhamid Harifi, la présence de drones d’attaque serait suffisamment dissuasive face à ce déploiement belliciste. “Aux frontières du Maroc, nous avons un pays très bien équipé avec des missiles S-300, S-350E et, bientôt, des S-400 en provenance de Russie, mais aussi en systèmes de défense antiaérienne avec des Pantsir-S1/SM, Buk-M2et Tor-M2”, liste l’expert dans le domaine militaire.

“Cela peut présenter une menace contre notre aviation dans l’hypothèse de la création d’une zone d’interdiction. Pour contrer une attaque algérienne, le Maroc doit s’équiper de moyens adéquats pour faire face à cette défense et se doter de moyens pour empêcher d’activer leur système de dissuasion ou les brouiller dans le cas où ces systèmes seraient activés”, ajoute-t-il.

Une puissance régionale montante

De l’intérêt grandissant pour les drones à son positionnement géostratégique, il n’y a qu’un pas pour que le Maroc s’affirme comme une puissance montante de drones dans la sous-région ou au niveau continental.

Lorsque TelQuel l’interpelle sur la question, Abdelhamid Harifi se garde bien de le franchir, articulant sa réponse sur le fait que le drone n’est pas le seul élément du “hard power” marocain.

“La stratégie du Maroc n’est pas de s’affirmer en tant que puissance de drones, mais de s’affirmer en tant que puissance, au vrai sens du terme, pour être l’interlocuteur privilégié des puissances mondiales et un pôle de stabilité et de paix dans cette région. Avec son titre de premier investisseur en Afrique de l’Ouest, le Maroc aspire à devenir une puissance économique et politique continentale”, relève-t-il.

Pour le chercheur, dans ce projet, le royaume se doit d’avoir les moyens adéquats pour protéger aussi bien son territoire que ses intérêts en Afrique contre toute menace venant du ciel ou d’ailleurs. Et de conclure : “Le Maroc doit aussi pouvoir rassurer les investisseurs extérieurs que leurs implantations sur ce sol marocain sont suffisamment protégées. Il en va de la crédibilité du Maroc pour soutenir ce projet de puissance en devenir.