le Maroc entrouvre la porte à ses ressortissants bloqués à l’étranger

La rédaction du

Depuis le 29 novembre, ils sont des milliers de Marocains à être bloqués à l’étranger. La suspension des vols passagers à destination et en provenance du Maroc, prolongée jusqu’au 31 janvier, est un coup de massue pour de nombreux citoyens et résidents du royaume. Pour ces familles, ces couples bi-nationaux séparés, ces jeunes diplômés sans ressource, la situation a le goût amer du déjà-vu. Témoignages.
« J’essaie de minimiser mes frais mais je ne sais pas combien de jours je vais tenir ».
Après ses neuf ans d’études en pharmacologie effectuées en Espagne, Omar, Marocain de 30 ans, devait enfin rentrer s’installer définitivement à Casablanca, le 4 décembre dernier. Son billet, le diplômé l’avait acheté deux mois à l’avance.
C’était sans compter la décision du Maroc de fermer son espace aérien aux vols passagers, le 29 novembre. Une mesure prise pour faire face à la propagation rapide du variant Omicron du SARS-CoV-2 et à la recrudescence de la pandémie en Europe. Suite à cette restriction, de nombreux Marocains hors du territoire national se retrouvaient coincés loin de chez eux, pour une durée indéterminée. 
Du 13 décembre au 23 décembre, le royaume a autorisé les Marocains à rentrer dans leur pays depuis le Portugal, la Turquie ou les Émirats arabe unis. Ce retour au pays était soumis à une condition, détaillée dans un communiqué du comité chargé de la veille anti-Covid au Maroc.
« Cette opération, qui a débuté le mercredi 15 décembre, concerne, exclusivement, les citoyens marocains qui résident effectivement au Maroc et qui ont quitté récemment le territoire national. »
Cette règle n’a pas permis à tous les citoyens marocains ou résidents de retrouver leur vie sur place.
Je ne sais pas combien de jours je vais tenir
Omar, Marocain diplômé en pharmacologie, bloqué à Séville
Des jeunes diplômés bloqués et sans ressources
Omar est aujourd’hui bloqué à Séville. Son passeport indique qu’il réside dans la ville espagnole. Le jeune homme a bien tenté d’expliquer son cas au consulat marocain. Mais il est loin d’être un cas particulier ou prioritaire.
« Je leur ai bien expliqué la situation, comme quoi j’étais résident en Espagne, qu’il y a deux ans mon passeport avait expiré, que j’avais dû le renouveler dans un consulat sur place et que j’avais alors renseigné mon adresse espagnole. Ils m’ont dit qu’ils allaient faire le nécessaire pour mon retour mais qu’ils ne garantissaient rien, car selon les directives, seuls les citoyens marocains résidents au Maroc pouvaient bénéficier de ces vols de rapatriement.»
Omar est finalement recontacté par le consulat. Ce dernier lui indique que des vols de rapatriement sont possibles au départ de Lisbonne, mais qu’il n’est pas sûr qu’il puisse embarquer à bord. Il décide de contacter la compagnie aérienne Royal Air Maroc. Cette dernière lui signifie qu’il n’aura aucune chance d’embarquer.
« La RAM m’a dit que j’allais être directement refoulé et que ça ne servait à rien de venir. Qu’ils s’étaient déjà retrouvés face à mon cas plusieurs fois et que les gens qui avaient acheté leur billet Lisbonne-Casablanca à 700 euros, le triple des prix pratiqués, s’étaient vus refoulés. Je n’ai donc pas osé le faire. »
Le jeune homme vit désormais sans ressources, dans une auberge de jeunesse à Séville. Depuis qu’il a perdu son statut d’étudiant, il ne peut plus justifier d’un certificat de scolarité auprès de sa banque. Il ne peut donc recevoir aucune aide financière de ses proches vivants au Maroc, en vertu d’une loi marocaine pour lutter contre le blanchiment des capitaux.
« J’essaie de minimiser mes frais mais je ne sais pas combien de jours je vais tenir. Mes parents m’envoyaient des transferts d’argent via la banque, mais je n’ai plus aucune preuve que je suis étudiant car j’ai fini mes études, la banque bloque donc tous les transferts. Je me retrouve dans une situation assez complexe. Il y a des gens dans mon cas qui n’ont nulle part où dormir et rien à manger. J’ai peur de tomber là-dedans.»
Je n’ai plus aucune preuve que je suis étudiant car j’ai fini mes études, la banque bloque donc tous les transferts
Omar, Marocain
Le dilemme des couples bi-nationaux
Quand pour certains la séparation familiale est forcée, d’autres peuvent encore l’éviter, mais ils font face à des dilemmes.
(Re)voir : Mars 2020 : la colère des Français coincés au Maroc
Malika s’est rendue avec sa fille de 6 ans et son mari chez les parents de ce dernier, le 21 novembre, à Paris. Ils devaient repartir chez eux, à Casablanca, le 10 décembre. À la fermeture des frontières, ils se sont vus proposer un vol de rapatriement Lisbonne-Casablanca. Mais contrairement à son mari et à sa fille, Malika n’a pas la nationalité marocaine. Elle ne peut donc pas repartir avec sa famille. Ils ont décidé de rester en France, en attendant que les choses évoluent.
« Ma fille est scolarisée au Maroc, elle rate ses cours de CP, alors que c’est une année importante. Nous sommes désemparés. Au premier confinement, il y a deux ans, nous étions déjà restés bloqués 7 mois chez mes beaux-parents. Notre vie est au Maroc, nous dépensons notre argent là-bas. Nous n’avons rien ici. En ce qui concerne notre santé, nous ne sommes pas protégés. Heureusement que nous avons notre famille.»
Selon le ministère de la Santé, le nombre de nouvelles infections a augmenté de 50% en une semaine au Maroc, même si le bilan des cas sévères ou critiques, et des décès, reste stable. “Le risque d’une reprise de l’épidémie est très probable”, a mis en garde le ministère mardi 21 décembre.
Pour les étrangers restés au Maroc mais qui souhaitaient rendre visite à leur famille à l’extérieur du pays, le choix peut aussi être draconien.
Je me sens totalement prisonnière.
Maude, Française résidente au Maroc
Maude vit avec ses filles au Maroc depuis 2014. Elle souhaitait rendre visite à sa mère malade en France pour Noël. Les autorités marocaines autorisent au cas par cas des vols spéciaux de rapatriement à partir du Maroc vers l’Europe. Mais le plus dur n’est pas de sortir du pays.
« Je pourrais effectivement me rendre en France. Le problème serait de revenir. Je me sens totalement prisonnière. Nous souffrons vraiment de toutes les décisions prises à la dernière minute, des changements de la veille pour le lendemain, que ce soit les résidents de nationalité marocaine comme les résidents étrangers », explique Maude.
Selon le ministère de la Santé marocain, le nombre de nouvelles infections au Covid-19 a augmenté de 50% en une semaine, même si le bilan des cas sévères ou critiques, et des décès, reste stable. La veille de Noël, l’Office National Des Aéroports (ONDA) a annoncé le prolongement de la suspension de tous les vols passagers depuis et vers le Maroc, initialement prévue jusqu’au 31 décembre, “jusqu’au 31 janvier”.
 diplômé en pharmacologie, bloqué à Séville
Omar n’est pas le seul diplômé dans son cas. Rim, jeune diplômée en finance de 22 ans, connaît le même sort à Paris. Son retour définitif à Casablanca était prévu début novembre. Il a été retardé suite à l’instauration du pass vaccinal au Maroc fin octobre.
Le temps d’effectuer les deux doses, la carte de séjour de la jeune femme n’était plus valide et l’espace aérien marocain déjà fermé.
« J’ai une carte nationale avec une adresse marocaine mais j’ai dû renouveler mon passeport en juillet dernier et c’est mon ancienne adresse parisienne qui figure dessus. Je ne peux pas aller au Portugal prendre un avion de rapatriement, puisque ma carte de séjour n’est plus valide, je ne peux donc pas me rendre dans un autre pays membre de l’Union européenne. Il faudrait que j’aille jusqu’à Istanbul, et si je me fais refouler, je ne pourrais pas rentrer en France. Je serais donc seule dans un pays dont je ne parle pas la langue, sans y connaître personne. Si c’est pour me faire refouler et payer un billet à un prix exorbitant, je préfère ne même pas tenter. »
Sans revenus et sans ressources, Rim a logé chez des amies, déménageant d’un appartement à l’autre toutes les deux semaines. Elle vit désormais dans une auberge de jeunesse qu’elle se paie avec ce qu’elle a mis de côté lors de son dernier stage effectué à la Société Générale Gestion et avec les derniers versements de son père perçus quand elle avait encore le statut étudiant.
« Je ne peux pas louer un endroit car je n’ai pas de titre de séjour. En fait, je devrais tout faire dans le noir. Si je veux travailler, il ne faut pas que je déclare. Je ne veux pas vivre comme ça. Cela fait cinq ans que je vis de manière totalement légale en France », ajoute-t-elle.
Des billets trop chers et trop rares
Pour certains citoyens marocains résidents au Maroc, les choses ne sont pas beaucoup plus faciles. Hind s’était envolée début décembre vers Montpellier pour aller rendre visite à sa fille étudiante. L’entrepreneuse vit depuis entre les quatre murs du logement de sa fille en Cité Universitaire pour éviter d’avoir à payer l’hôtel.
Si c’est pour me faire refouler et payer un billet à un prix exorbitant, je préfère ne même pas tenterRim, Marocaine diplômée coincée à Paris
Hind dispose de la double nationalité franco-marocaine et d’une adresse marocaine sur son passeport, elle entre donc dans le cadre des vols de rapatriement, mais les prix des billets sont trop chers pour elle.
Hind est une Franco-marocaine vivant à Marrakech.
« ​J’ai trouvé un vol pour Marrakech pour 1400 euros, ce qui est totalement invraisemblable, je ne peux pas l’acheter. Je n’ai aucune visibilité de quand je vais rentrer chez moi. Je me sens totalement abandonnée par le Maroc, même si je comprends que les autorités veuillent prendre leurs précautions.»
L’entrepreneuse se sent particulièrement concernée par le sort des résidents n’ayant pas la nationalité marocaine. « Je considère que c’est une mesure injuste et discriminatoire. Mon gouvernement prend des mesures attentatoires aux libertés au lieu de mettre en place de vraies mesures sanitaires », ajoute la Franco-marocaine.
Pour Amiri, bloquée à Djeddah et Youssra, coincée à Orly, le problème n’est pas tant financier que logistique. Youssra est journaliste institutionelle à Casablanca.
Amiri se rendait pour une semaine en voyage d’affaires à Djeddah. Depuis son arrivée le 25 novembre, elle ne trouve pas de vol retour. « À Dubaï, on ne trouve pas de vols, ils s’annulent à chaque fois. Même chose pour Istanbul. »
Pour Youssra, journaliste institutionnelle à Casablanca, c’est le même problème.
Arrivée le 23 novembre à Paris comme touriste, elle comptait rentrer le 9 décembre au Maroc. Son visa Schengen a été expiré le 23 décembre.
« Je ne sais pas ce que je dois faire. À partir d’aujourd’hui, je suis en situation irrégulière en France. Je n’arrête pas de poster mon problème sur les différents groupes Facebook. Je cherche tout le temps des vols et je suis prête à racheter le vol de quelqu’un. »
À Casablanca, où elle habite, Youssra a laissé derrière elle son emploi. Elle devait reprendre le travail le 10 décembre et risque désormais un abandon de poste. « J’essaye d’épuiser tous mes congés, mais je risque de me retrouver au chômage en plus d’être en situation irrégulière en France.»
Pour de nombreux Marocains, il est impossible de rentrer au Maroc à cause du nombre restreint de vols de rapatriement.
AP Photo/Mosa’ab Elshamy
Pour Amiri, c’est encore autre chose. La Marocaine a laissé derrière elle sa mère et son enfant de 14 ans. C’est elle qui normalement le conduit à l’école tous les jours.
« Des amis ont pu le conduire un temps, maintenant je dois lui payer le taxi pour qu’il puisse aller étudier ». Elle regrette le manque de clarté du gouvernement marocain.
Amiri est restauratrice et maman d’un enfant de 14 ans à Casablanca.
« C’est perturbant pour tout le monde, les informations ne sont pas claires, jusqu’à quand vont-ils réellement fermer les frontières ? Et quand bien même, c’est mon pays, ils n’ont pas ce droit », ajoute la Casablancaise. Les étrangers résidants au Maroc dans le flou
Les étrangers résidants au Maroc se plaignent d’une situation encore plus floue.
Ils sont plusieurs à s’être rendus à Lisbonne pour tenter de rejoindre le Maroc et leur domicile, sur avis « des ambassades, des compagnies aériennes et du ministère des Affaires étrangères marocain ».
En arrivant à l’aéroport, ils se seraient fait refouler par la compagnie aérienne sans plus d’explications. Plusieurs d’entre eux se sont réunis dans un hôtel de Lisbonne. Ils attendent que leur situation évolue et se rendent tous les jours à l’aéroport.
À l’intérieur, il y a quelque chose qui s’est cassé, une confiance qui s’est briséeMoez, Tunisien marié à une Marocaine, bloqué au Portugal
C’est le cas de Lucie, de son mari et de leurs deux enfants, des Français résidant à Marrakech depuis un an et demi.
« Nous avons pris toutes les précautions avant de venir à Lisbonne. Aujourd’hui, on nous fait passer pour des gens qui n’ont rien compris. Les autorités ont laissé des ambiguïtés dans leurs décisions. »
C’est aussi le cas de Moez, Tunisien marié à une Marocaine, papa d’un bébé de dix mois. Moez est installé à Casablanca depuis huit ans. Ce patron d’une boulangerie emploie dix personnes. Il s’était rendu à Oran pour un voyage d’affaire. Depuis le 29 novembre et la fermeture de l’espace aérien marocain, il n’a pas trouvé de vol pour retourner auprès de sa femme et de son fils.
Moez ne reproche pas au gouvernement marocain les décisions prises mais plutôt le manque de visibilité concernant le sort des résidents de nationalité étrangère. Il demande des dates précises concernant leur rapatriation.
« J’essaie de relativiser mais je ne vous cache pas qu’à l’intérieur, il y a quelque chose qui s’est cassé, une confiance qui s’est brisée. Désormais, des questions se posent concernant notre choix du Maroc comme d’une patrie où nous pouvions nous installer en sécurité et bâtir notre vie. Nous nous sentons en insécurité. Je n’aimerai pas que mon enfant subisse ce que j’ai subi, lorsqu’il grandira. Je me pose des questions sur son éducation, dans un pays qui fait du deux poids deux mesures», avance l’entrepreneur de 40 ans.
Le dilemme des couples bi-nationaux
Quand pour certains la séparation familiale est forcée, d’autres peuvent encore l’éviter, mais ils font face à des dilemmes.
(Re)voir : Mars 2020 : la colère des Français coincés au Maroc
Malika s’est rendue avec sa fille de 6 ans et son mari chez les parents de ce dernier, le 21 novembre, à Paris. Ils devaient repartir chez eux, à Casablanca, le 10 décembre. À la fermeture des frontières, ils se sont vus proposer un vol de rapatriement Lisbonne-Casablanca. Mais contrairement à son mari et à sa fille, Malika n’a pas la nationalité marocaine. Elle ne peut donc pas repartir avec sa famille. Ils ont décidé de rester en France, en attendant que les choses évoluent.
« Ma fille est scolarisée au Maroc, elle rate ses cours de CP, alors que c’est une année importante. Nous sommes désemparés. Au premier confinement, il y a deux ans, nous étions déjà restés bloqués 7 mois chez mes beaux-parents. Notre vie est au Maroc, nous dépensons notre argent là-bas. Nous n’avons rien ici. En ce qui concerne notre santé, nous ne sommes pas protégés. Heureusement que nous avons notre famille.»
Selon le ministère de la Santé, le nombre de nouvelles infections a augmenté de 50% en une semaine au Maroc, même si le bilan des cas sévères ou critiques, et des décès, reste stable. “Le risque d’une reprise de l’épidémie est très probable”, a mis en garde le ministère mardi 21 décembre.
AP Photo/Abdeljalil Bounhar
Pour les étrangers restés au Maroc mais qui souhaitaient rendre visite à leur famille à l’extérieur du pays, le choix peut aussi être draconien.
Je me sens totalement prisonnière.
Maude, Française résidente au Maroc
Maude vit avec ses filles au Maroc depuis 2014. Elle souhaitait rendre visite à sa mère malade en France pour Noël. Les autorités marocaines autorisent au cas par cas des vols spéciaux de rapatriement à partir du Maroc vers l’Europe. Mais le plus dur n’est pas de sortir du pays.
« Je pourrais effectivement me rendre en France. Le problème serait de revenir. Je me sens totalement prisonnière. Nous souffrons vraiment de toutes les décisions prises à la dernière minute, des changements de la veille pour le lendemain, que ce soit les résidents de nationalité marocaine comme les résidents étrangers », explique Maude.
Selon le ministère de la Santé marocain, le nombre de nouvelles infections au Covid-19 a augmenté de 50% en une semaine, même si le bilan des cas sévères ou critiques, et des décès, reste stable. La veille de Noël, l’Office National Des Aéroports (ONDA) a annoncé le prolongement de la suspension de tous les vols passagers depuis et vers le Maroc, initialement prévue jusqu’au 31 décembre, “jusqu’au 31 janvier”.

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