Comprendre la querelle sur les chiffres de l’immigration illégale entre la France et l’Algérie

Asma Maad

Les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont au centre des tensions entre les deux pays, qui entretiennent chacun la confusion sur leur vrai nombre.

Alors que l’Algérie et la France traversent une crise diplomatique sur fond de politique de réconciliation mémorielle, les tensions se cristallisent désormais autour de la question de l’immigration illégale.

La tension s’est accrue depuis que le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a dénoncé, dimanche 10 octobre, le « gros mensonge » du ministre de l’intérieur français, Gérald Darmanin, sur le nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées contre des ressortissants algériens. M. Darmanin a maintenu que 7 730 OQTF avaient été prononcées depuis janvier. Ce qu’a contesté le chef de l’Etat algérien : « Il n’y a jamais eu 7 000 [clandestins algériens], c’est complètement faux ».

  • Qu’est-ce qu’une OQTF ?

En France, les étrangers en situation irrégulière peuvent faire l’objet de différentes mesures d’éloignement. Depuis la loi dite « Besson » de 2011, l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) est l’une des procédures les plus utilisées. Il s’agit d’une décision administrative, exécutoire pendant une durée d’un an, prise par la préfecture, pour expulser un ressortissant étranger du territoire français vers son pays d’origine.

Selon le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), les OQTF peuvent concerner :

  • un étranger entré irrégulièrement en France sans titre de séjour valide ;
  • un étranger qui reste en France au-delà de la validité de son visa ;
  • un étranger qui essuie un refus de délivrance, ou de renouvellement de son titre de séjour, etc.

Cependant, ces décisions « d’éloignement » peuvent être contestées auprès de la justice et toutes les personnes visées par une OQTF ne sont pas placées en centre de rétention ni expulsées de force ; certaines peuvent repartir spontanément ou bénéficier d’une aide au retour.

Avant de reconduire un étranger à la frontière, les autorités doivent déterminer sa nationalité. Lorsqu’il possède un passeport, c’est simple. Mais s’il n’a pas de document d’identité, ou que ce dernier paraît frauduleux, les autorités françaises sont obligées d’obtenir un laissez-passer consulaire (LPC) du pays d’origine pour faire exécuter la reconduite à la frontière.

En l’absence d’un passeport ou d’un laissez-passer, l’embarquement sur un vol international n’est pas possible, assure la Cimade, association de soutien aux migrants, qui précise que « les demandes de LPC sont majoritairement faites pour les personnes placées en centre de rétention pour être renvoyées hors de l’Union européenne ».

  • Quel est l’objet du désaccord entre Paris et Alger ?

Le gouvernement français a annoncé le 28 septembre une réduction drastique de 50 % du nombre de visas accordés aux ressortissants algériens. Pour justifier cette mesure, il a dénoncé le manque de coopération de l’Algérie dans l’application des OQTF et dans la délivrance des laissez-passer consulaires qui permettent de reconduire dans leur pays d’origine les immigrés.

Cette décision est liée à l’objectif fixé par Emmanuel Macron en 2019 de voir 100 % des OQTF exécutées d’ici à la fin de son mandat. Le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, souhaite « pousser les pays concernés à changer de politique et accepter de délivrer ces laissez-passer consulaires ».

Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, entre janvier et juillet 2021, la justice a ordonné 7 731 OQTF, mais seulement 22 ressortissants algériens ont effectivement été expulsés. Le ministère de l’intérieur a mis l’accent sur le fait que la France n’avait pu expulser que 0,3 % des OQTF. Comprendre : l’Algérie refuserait d’accorder des laissez-passer consulaires, freinant des expulsions déjà rendues difficiles par la crise sanitaire et les fermetures des frontières.

Du côté algérien, le président Tebboune rejette ce chiffre de « 7 000 », et ne parle que d’une liste de « 94 cas ».

  • Qu’en est-il vraiment ?

Contacté par Le Monde, le ministère de l’intérieur confirme avoir envoyé entre janvier et juillet 2021 des demandes de laissez-passer consulaires pour 97 personnes ultra-prioritaires (et non pas 94, comme l’affirmait M. Tebboune) en situation irrégulière inscrites au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Mais le représentant de la place Beauvau insiste sur le fait que d’autres demandes ont été effectuées auprès des autorités algériennes pour des profils spécifiques, à

expulser en priorité, notamment des personnes qui sortent de prison (trafic de stupéfiants, crimes…).

Au total, selon les services de M. Darmanin, 597 demandes de LPC concernant des personnes placées en rétention et devant être expulsées ont été formulées entre janvier et juillet. Parmi celles-ci, l’Algérie n’en a délivré que 31, soit 5 %, relève le ministère de l’intérieur. Pour appuyer le manque de coopération consulaire, le ministère insiste sur le fait que le taux d’obtention de laissez-passer demandés à l’Algérie était de 56,3 % en 2019 et de 34 % entre janvier et août 2020.

En résumé, le ministère de l’intérieur entretient la confusion entre le nombre d’OQTF prononcées par les préfectures et le nombre de demandes adressées à l’Algérie afin qu’elle récupère ses ressortissants.

S’il y a bien eu près de 7 300 clandestins algériens visés par une telle procédure, la France n’a formulé « que » 597 demandes à Alger entre janvier et juillet 2021. Un taux de 5 % qui reste trop faible pour le gouvernement français, et qui justifie, selon lui, la réduction drastique de demandes de visas accordés pour l’Algérie.

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