Echange de données par le Maroc à des fins fiscales: voici l’explication d’un Avocat fiscaliste.

Guelzim

Suite à la convention multilatérale du Maroc avec l’OCDE, les Marocains Résidant à l’Etranger (MRE) ont l’obligation de déclarer leurs comptes au Maroc au fisc Français. La déclaration doit s’opérer avant Septembre 2021. Passée cette date, les contrevenants peuvent faire l’objet de sanctions financières et pénales. Cette déclaration vise t’elle uniquement les comptes ou tous les actifs ? Concerne t’elle les binationaux ou les seules résidents marocains ? Pour y voir plus clair, nous avons interviewé Maître Abdelatif Laamrani, avocat, docteur en droit de l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et fondateur du cabinet Laamrani Law Firm installé à Paris, Casablanca et Montréal.

LCDA : Les Marocains Résidant à l’Etranger (MRE) ont jusqu’à septembre 2021 pour déclarer leurs comptes bancaires détenus au Maroc. Pourquoi cette nouvelle règle est-elle en vigueur ?

Maître Abdelatif Laamrani : Tout part d’une convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice, dite BEPS (Base erosion and profit Shifting). Longtemps promue par le G20 et l’OCDE, elle vise la lutte contre les pratiques fiscales dommageables, la lutte contre l’utilisation abusive des conventions fiscales, la documentation des prix de transfert, et une meilleure efficacité des mécanismes de règlement des différends. La convention a été ratifiée par la France en juillet 2018, et signée par le Maroc en juin 2019.

Cette convention instaure le principe d’échange d’informations en matière fiscale sur une base automatique entre les pays signataires. Le Maroc avait mis en place 2 programmes de contribution libératoire en 2014 et 2018. Cela permettait aux personnes en situation irrégulière vis-à-vis des obligations fiscales de se conformer aux normes en vigueur.

LCDA : Est il simple de mettre en oeuvre cette nouvelle règle de cette convention ?

Maître Abdelatif Laamrani : Les modalités d’application se sont avérées très complexes et parfois même inintelligibles. Tout d’abord, elle a modifié l’application de milliers de conventions fiscales bilatérales. De plus, elle a assujetti les institutions financières (établissements de crédit, compagnies d’assurance et de réassurance, et organismes assimilés, etc.), les régulateurs, les autorités de tutelle (Banques centrales et autorités de marchés financiers, etc.) ainsi que les contribuables qu’ils soient personnes physiques ou morales à certaines obligations. Toutefois, comme elle fait partie désormais des législations internes des Etats signataires, cette convention s’impose obligatoirement à leurs résidents fiscaux.

Aussi, en termes d’application surgit le problème de la définition d’une notion fondamentale mais ardue en fiscalité internationale. En l’occurrence, il s’agit de la « résidence fiscale ». C’est le préalable indispensable à l’établissement de la situation fiscale du contribuable. En effet, sa définition diffère entre le droit français, la convention multilatérale ou le droit marocain. La situation se complique davantage lorsqu’il s’agit des MRE. Ceux-ci ne résident pas à longueur d’année en Hexagone ou au Maroc. Ils sont en situation de « transvasement ».

LCDA : Quelles sanctions encourent les MRE qui n’auraient pas déclaré leurs comptes bancaires au Maroc passé la date de septembre 2021. Y a t’il des différences entre les deux pays ?

Maître Abdelatif Laamrani : En France, on ne lésine pas avec ce genre d’infraction. Au cas où l’administration fiscale française découvre qu’un contribuable a omis de déclarer des avoirs à l’étranger, elle l’invite dans un premier temps à déposer des déclarations rectificatives ainsi que les relevés bancaires et les justificatifs de l’origine de ses avoirs. A défaut de réponse dans le délai imparti ou quand l’administration juge sa réponse insuffisante, le fisc français change d’attitude. Elle considère que les avoirs dans le compte bancaire non déclaré est un patrimoine acquis à titre gratuit. L’Etat Français s’en adjuge d’office des droits de mutation de 60% du montant net taxable. Dés lors, le contrevenant se verrait également astreint à payer le principal et les majorations de retard au titre de l’IR, et éventuellement de l’ISF, afférents aux revenus dus ou aux comptes régularisés, au titre de la période non prescrite (2012-2021).

Il faut savoir que pour l’IR et l’IS, l’administration fiscale française peut effectuer un contrôle sur l’année en cours et les trois années précédentes. Ce délai peut passer à 10 ans en l’absence de déclaration. Les intérêts de retard sont de 0,4 à 2,2% par mois de retard en plus d’une majoration unique et globale de 80% du principal qui ne peut être inférieure à 1 500 €.

LCDA : Peuvent-ils être accusés de fraude fiscale ?

Maître Abdelatif Laamrani : En effet, la situation devient plus délicate lorsque l’omission de déclaration des fonds afférents à un compte bancaire à l’étranger est constitutive du délit de fraude fiscale. Celui-ci est défini par l’article 1741 du Code général des impôts français :  le fait ou la tentative de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement de l’impôt par dissimulation volontaire de sommes sujettes à l’impôt, par omission de faire sa déclaration dans les délais prescrits, par obstruction en usant d’autres manœuvres au recouvrement de l’impôt, ou en agissant de toute autre manière frauduleuse.

Ce délit est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction. Quand la fraude est aggravée, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à une amende de 3 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.

Tout est question de qualification. On juge sur la bonne foi. Le contribuable peut prendre l’initiative de régulariser sa situation, en déclarant pour la première fois les comptes bancaires, les contrats d’assurance vie, et tout avoir dont il dispose au Maroc. Cependant, pour le contribuable qui n’a alimenté ses comptes que par des revenus déjà déclarés en France, et qui omet de déclarer ses comptes étrangers, il pourrait n’être passible que d’une amende qui s’élève à 1 500 € par compte non déclaré. L’amende pour non-déclaration s’applique à chaque compte bancaire. Elle concerne la période de la régularisation, dans la limite de quatre ans suivant l’infraction.

LCDA : Et au Maroc, la situation est la même…

Maître Abdelatif Laamrani : Au Maroc, en principe, les MRE n’encourent pas de sanctions pénales s’ils ne déclarent pas leurs comptes bancaires ouverts à l’étranger. Ce sont les établissements de crédit et organismes assimilés qui les déclarent à la DGI. Toutefois, les clients des banques encourent des sanctions en cas de refus d’auto-certification ou de communication d’informations délibérément erronées de paiement d’une amende de 1 500 DH. Rappelons que les établissements de crédit risquent, eux aussi, des sanctions en cas de déclarations omises ou erronées de 2 000 DH.

LCDA : Faut-il déclarer uniquement les comptes bancaires au Maroc ou également les patrimoines (immobilier, entreprise, action, assurance vie, etc..) ?

Maître Abdelatif Laamrani : En effet, les personnes physiques ainsi que certaines personnes morales telles que les associations et les sociétés civiles – non commerciales (SCI, société de fait, indivision etc.) domiciliées en France, ont le droit d’avoir un compte bancaire à l’étranger. La condition est de le déclarer annuellement. Cette obligation intéresse tous les avoirs et liquidités. Cela concerne les comptes bancaires courants ou d’épargne (même comptes inactifs ou dormants). Il faut aussi déclarer les contrats d’assurance vie. Pour les autres catégories de biens constituant le patrimoine, l’obligation de déclaration en France concerne plutôt certains élus et dirigeants.

LCDA : Et les particuliers ?

Maître Abdelatif Laamrani : Même des particuliers peuvent s’y soumettre dans certains cas. Par exemple dans le cadre d’une instance de divorce, le juge peut demander aux époux de lui transmettre une déclaration de leur patrimoine pour mieux le répartir entre eux. Autre cas, s’il y a une donation ou plus généralement lors de la transmission d’un patrimoine. Enfin, ceux qui bénéficient de certaines aides comme les aides au logement octroyées par la CAF peuvent se voir demander une déclaration de patrimoine.

Au Maroc les établissements de crédit déclarent un ensemble d’informations à la DGI. Cela va de l’identification du titulaire du compte bancaire et des bénéficiaire effectifs, le numéro du compte, le solde ou la valeur portée sur le compte. Attention, s’il s’agit d’un compte titres, il y a lieu de déclarer le montant des intérêts, dividendes et autres revenus de produits sur les actifs détenus.

 LCDA : Les MRE subissent-ils l’impôt en France sur leurs actifs au Maroc, ou l’inverse ? Y a-t-il une double imposition sur leurs actifs ?

Maître Abdelatif Laamrani : La convention fiscale franco-marocaine du 29 mai 1970 définit le domicile fiscal en fonction des seuls critères conventionnels sans se référer à la législation interne des États contractants. Par suite, le fait qu’une personne physique soit ou non considérée comme ayant son domicile fiscal en France au sens de l’article 4 B du code général des impôts (CGI) est indifférent pour la détermination de son domicile au sens de cette convention. Aux termes de l’article 2 de celle-ci, une personne physique est domiciliée dans l’État où elle a son foyer permanent d’habitation. Si cette personne possède un foyer permanent dans les deux États, elle est réputée posséder son domicile dans celui des États contractants où elle a le centre de ses activités professionnelles et, à défaut, où elle séjourne le plus souvent.

LCDA : Comment peut-on déterminer sa résidence fiscale ?

Maître Abdelatif Laamrani : Selon la jurisprudence du Conseil d’État, toute résidence dont une personne dispose de manière durable constitue, au sens de la convention, un foyer permanent d’habitation. Le critère du séjour le plus long dans l’un des deux États n’intervient dans la détermination du domicile fiscal que dans le cas où une personne dispose d’un foyer permanent d’habitation en France et au Maroc et où il est impossible de déterminer le centre de ses activités professionnelles.

Dans le cas d’un contribuable marié sous le régime de la séparation de biens disposant d’un foyer permanent d’habitation dans les deux États, et dont le centre de ses activités professionnelles se situe au Maroc, il conviendra de considérer que son domicile fiscal se situe au Maroc. En revanche, le domicile fiscal du conjoint séjournant en France plus de six mois par an et n’exerçant pas d’activité professionnelle au Maroc doit être considéré comme situé en France.

LCDA : Y a-t-il une différence de traitement entre les résidents marocains en France (MRE) et les binationaux (franco-marocains) ?

Maître Abdelatif Laamrani : Généralement la double nationalité est indifférente. C’est le critère de la résidence fiscale qui s’applique et qui reste une question de fait. On se demande alors quels sont vos liens économiques, familiaux et de présence effective dans le pays. Une personne de nationalité étrangère a la possibilité de se domicilier fiscalement en France et inversement. On utilise rarement le critère de la nationalité pour déterminer la résidence fiscale.

Il peut arriver qu’on ne puisse pas déterminer le séjour principal ou non dans les deux Etats. Dés lors, le contribuable aura sa résidence fiscale en France s’il a la nationalité française. Les MRE non-résidents fiscaux en France seraient imposés uniquement sur leurs revenus de source française.

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