Mouillée dans une affaire de trafic de drogue, la filiale marocaine de l’allemand FRS dans le collimateur de la justice
Oussible Rime
Le navire Tanger Express, propriété de la compagnie RFS, fait l’objet d’une saisie ordonnée par la justice en faveur de la Douane, en lien avec une affaire de trafic de drogue. Celle-ci aura eu le mérite de révéler des failles dans le secteur du transport maritime au Maroc. Décryptage.
L’affaire remonte au 12 août dernier, jour où la Guardia civil d’Algésiras a intercepté une cargaison de 4,5 tonnes de haschisch, en provenance du port Tanger-Med, à bord du navire Tanger Express, propriété de Red Fish Spleedlines (RFS).
Société de droit marocain basée à Tanger, jusqu’ici inconnue du grand public, RFS est une filiale de la firme allemande FRS, dont le siège est basé à Cadix, dans le sud de l’Espagne, connue pour ses fast ferries qui assurent des dessertes maritimes autour du détroit de Gibraltar.
En 2015, les fondateurs allemands de FRS ont eu l’ingénieuse idée de s’associer à un Marocain résident en Allemagne pour créer RFS et pouvoir participer à un appel d’offres lancé par les autorités marocains, portant sur l’attribution d’une nouvelle ligne reliant Tanger Med à Algésiras (RFS a d’ailleurs remporté ce marché haut la main).
Ainsi, en plus de ses navires battant pavillon espagnol qui opèrent sur la même ligne dans le cadre du quota réservé aux firmes ibériques, la compagnie FRS a pu renforcer sa présence sur l’axe Tanger Med-Algésiras en puisant cette fois-ci dans le quota revenant à la partie marocaine, et ce, grâce à sa filiale RFS et à son navire battant pavillon marocain, Tanger Express.
En plus de RFS, deux autres compagnies marocaines opèrent sur la même ligne, AML et Intershipping, contre trois firmes espagnoles Transmediterranea Acciona, FRS, et Balearia.
Mais revenons à cette affaire de trafic de drogue qui secoue la communauté portuaire hispano-marocaine depuis l’été dernier. La compagnie RFS pouvait-elle échapper à sa responsabilité dans cette affaire? En tout cas, pour l’heure, trois de ses collaborateurs ont été mis en examen et écroués.
Les trafiquants ont réussi à embarquer la drogue à bord du Tanger Express, en se servant d’une benne à ordures. Une fois arrivée en Espagne, la cargaison a été dissimulée dans une remorque avant qu’elle ne soit découverte à la sortie du port d’Algésiras par une patrouille canine, composée d’une équipe hispano-portugaise et d’un chien renifleur, dans le cadre de l’opération Minerva de l’agence européenne Frontex, ont relayé des médias espagnols.
Cet incident a poussé les autorités marocaines à approfondir leurs investigations pour déterminer les responsabilités éventuelles de la société RFS. L’enquête a permis d’établir que celle-ci n’a pas respecté le Code international relatif à la sûreté des navires et des installations portuaires (ISPS).
«Comme toute compagnie maritime, RFS se doit de respecter certaines consignes de sécurité. A titre d’exemple, seules les personnes désignées par le commandant peuvent accéder au garage. Dans le cas de RFS, aucune liste n’a été enregistrée. Se pose aussi la question des installations de surveillance à bord du bateau», confie un haut responsable au ministère du Transport . Une enquête judiciaire a ensuite été ouverte sous la supervision du Parquet, confiée à la brigade des stupéfiants de Tanger.
Mardi 17 novembre dernier, l’affaire a connu un nouveau rebondissement. Ce jour-là, le tribunal de commerce de Tanger a ordonné une saisie conservatoire du navire Tanger Express, après que RFS a refusé de verser à l’Administration des douanes et impôts indirects (ADII) une amende de l’ordre de 183 millions de dirhams, à titre de dommages et intérêts.
Dix jours plus tard, soit le vendredi 27 novembre, un huissier de justice s’est déplacé à la capitainerie du port de Tanger Med, sur demande de l’ADII, afin de notifier l’ordonnance judiciaire ayant prononcé la saisie conservatoire du bateau Tanger Express.
«L’huissier de justice a alors été informé qu’il ne pouvait exécuter le jugement», étant donné que le navire n’était pas à quai dans le port, affirme une source autorisée de la Douane marocaine.
«Le bateau se trouvait de l’autre côté de la Méditerranée. La société RFS a dû être informée de l’arrivée du huissier et a préféré immobiliser le navire à Algésiras, alors qu’il devait achever sa rotation et accoster à Tanger le jour-même vers 20h00», confirme une autre source portuaire, démentant ainsi les propos avancés par le management de RFS à un média local tangérois selon lesquels la compagnie n’aurait pas reçu la décision du tribunal et que le fast-ferry Tanger Expressserait maintenu en Espagne pour une opération de maintenance habituelle.
Pour les autorités maritimes marocaines, il ne fait aucun doute que la société RFS a enfreint le cahier des charges encadrant l’exploitation de la ligne Tanger Med-Algesiras, lequel stipule que tout changement de rotation doit avoir obtenu préalablement l’aval de la Direction de la marine marchande (DMM), relevant du ministère du Transport et de la logistique.
«Suite à l’arrêt de l’exploitation, depuis le 27 novembre 2020, du navire Tanger Express sur l’axe Tanger Med-Algésiras sans délai, sans avis et sans accord préalable de l’administration (…) nous vous mettons en demeure de reprendre l’exploitation de la ligne (…) et ce sans délais et au plus tard avant le 6 décembre 2020», peut-on ainsi lire dans une lettre envoyée par la DMM, datée du 1er décembre 2020.
La société RFS avait donc un délai de cinq jours pour se manifester et reprendre du service, au-delà desquels son autorisation sera révoquée. Akhbarona Aljalia a appris que le Tanger Express a regagné les eaux territoriales marocaines aux premières heures de la matinée du jeudi 3 décembre dernier.
Attendue pour s’expliquer sur les raisons derrière l’interruption de son activité, la compagnie RFS a aussitôt enclenché une procédure visant à obtenir la levée de la saisie conservatoire. Une source proche de ce dossier nous explique que le management de la compagnie maritime tenterait de faire jouer en sa faveur la confusion qui existe entre les sigles de RFS et ceux de la société-mère FRS. Car dans le jugement prononcé par le tribunal de commerce, celui ordonnant la saisie conservatoire, c’est plutôt le nom de FRS qui est mentionné au lieu de RFS.
Alors, s’agit-il d’une simple erreur humaine dans l’écriture d’un procès-verbal, ou bien faut-il y voir le reflet du fonctionnement normal de la filiale marocaine qui, comme nous l’ont confirmé plusieurs acteurs de l’écosystème portuaire, n’a aucune existence physique sur le terrain?
D’ailleurs, il est étonnant de remarquer qu’on ne trouve aucune trace du sigle RFS dans les points de vente, ni dans les billets ni même sur la coque du Tanger Express, où seule la marque FRS est apposée. De même, ajoute-t-on, RFS n’est pas signataire des contrats d’interchangeabilité des billets.
Toutes ces interrogations amènent à se demander si le nom de cette entreprise est au moins répertorié auprès des administrations portuaires, et tout particulièrement auprès de la Douane qui, au lieu de cibler RFS dans sa requête devant le tribunal, aurait commis l’erreur de désigner la société mère FRS, comme propriétaire du bateau. «Nous sommes en train de préparer un mémoire en réponse à l’action tendant à la levée de la saisie conservatoire sur le navire», nous répond une source autorisée à la Douane marocaine.