Appelons-le “Q” ou Van Quick. Ou même simplement Quick comme les fast-foods. Car tant pour ses réformes que pour sa carrière, Vincent Van Quickenborne est du genre pressé. Doué aussi. Il faut l’être en politique, ne serait-ce que pour transformer un nom imprononçable en véritable marque. Et il l’a fait, en un temps record. Ancien nationaliste, aujourd’hui libéral à la limite de l’ultralibéralisme, accro à Twitter et aux nouvelles technologies, il a toujours su se faire remarquer. Mais qu’on ne s’y trompe pas, il est plus qu’un simple provocateur.
Commençons par évoquer “Q” dans un couloir du Parlement. Tout le monde ébauche un sourire. Preuve, déjà, qu’en plus de dix ans d’une carrière fulgurante, l’homme est parvenu à développer une image plutôt sympathique. Voix grave, surtout le matin (on y reviendra), visage joufflu, costumes souvent tendance mais parfois à la limite du loufoque (Vincent aime la mode, et elle évolue), tweets mémorables envoyés en sortie de réunion…, cet homme de 47 ans possède une image dans le coup.
“J’ai fait sa connaissance en 1999, raconte un sénateur francophone. On a très bien travaillé. Parfois même, on s’échangeait des dossiers. J’ai vite vu qu’il avait du fond. Il évoquait sans gêne des questions qui choquent la population, comme l’interminable rénovation du Berlaymont (le building amianté qui abritait la Commission européenne à Bruxelles et dont la restauration a pris des années – NDLR). Vincent aimait aussi traiter de sujets techniques tels que l’harmonisation des statuts d’employés et d’ouvriers. Dans mon parti, ça restait tabou.”
Un bosseur audacieux donc. Mais pas uniquement. “Avec lui on a parfois l’impression d’être accompagné d’un adolescent, complète le même. Il raconte des blagues, se passionne pour les nouvelles technologies et joue avec ses gadgets électroniques en plein boulot.” Ça peut surprendre, voire agacer. Un jour, il s’est d’ailleurs fait rappeler à l’ordre par le Premier ministre himself. Yves Leterme lui a signifié que photographier ses pieds en chaussettes pour les poster sur Twitter à l’attention des journalistes ne donnait pas du gouvernement une bonne image. On ne l’y reprendra pas, car “Q” apprend vite.
“Q” est donc comme cela: doué, mais aussi jouette et un rien frimeur. “Il a eu le premier iPhone de Belgique, prétend un ancien journaliste. Je me souviens que ces petits bijoux n’étaient même pas en vente chez nous et il a exhibé le sien lors d’une conférence de presse. Ça a fait pas mal de jaloux!”Un ancien ministre confie aussi: “Il se servait de cet appareil pour prendre des photos en permanence. Il l’a même utilisé au moment de prêter serment au roi”. On imagine la scène d’un Van Quickenborne en train de photographier le saint des saints du pouvoir belge devant un Albert II interloqué et des vigiles impuissants.
Alea jacta est
Etre à l’aise en toutes circonstances, voire gonflé, est un atout en politique. Et cette autre histoire, datant de l’ultime chute du gouvernement Leterme, montre que gonflé, “Q” l’est vachement. L’Open VLD venait de faire tomber sur le communautaire et la scission de BHV un gouvernement qui ne s’occupait que de socioéconomique. Allez comprendre cette folle époque… Van Quick avait annoncé cette chute sur Twitter via son célèbre Alea jacta est (“Le sort en est jeté”, repris de César entrant dans Rome, territoire interdit à son armée). Certes, la décision était celle de son président de parti, Alexander De Croo, mais dans l’équipe Leterme, “Q” passe pour l’affreux de service.
Toujours est-il qu’au lendemain de cette annonce, les ministres se réunissent pour expédier les dernières affaires (finalement, ils le feront pendant plus d’un an). Van Quickenborne débarque au 16 rue de la Loi remonté à bloc. Chacun y va de ses demandes “urgentes”, et Vincent ne se gêne pas pour présenter les siennes: “Ce projet est important pour les gens” dit-il d’une énième simplification administrative. Un ange passe. Yves Leterme, qui vient virtuellement de perdre son job, respire un grand coup. Reynders s’apprête à décrocher une flèche. Milquet a le regard qui devient noir de noir, Onkelinx feint l’intérêt. Mais le sentiment est le même: de qui se moque-t-il? Si les projets étaient tellement importants, pourquoi faire tomber le gouvernement et provoquer des élections anticipées?
Autre histoire qui montre à quel point “Q” peut agacer. Elle est plus ancienne et confirmée par deux ex-ministres. “Nous étions en négociation sur le budget. Tout se jouait en kern. Vincent n’en faisait pas partie. A l’époque, il n’était “que” secrétaire d’état (à la Simplification administrative). Comme d’habitude les téléphones chauffaient et les journalistes arpentaient le trottoir. D’un coup, il est passé apporter un dossier qu’il aurait pu envoyer par e-mail. Je n’ai pas compris pourquoi… jusqu’à ce que je voie toutes les interviews qu’il a accordées à la presse, impatiente de boucler ses sujets politiques du jour.” “Q” est aussi un excellent communicateur!
Pour “Quick”, tout a été vite, évidemment, et bien. En 1999, il décroche son premier mandat, directement au Sénat. A l’époque, il roule pour le compte des nationalistes flamands d’ID21. Plus tard, lorsque ce petit parti se dissout chez les socialistes du SPa, “Q” se convertit au libéralisme et arbore sans complexe un discours de droite, qui plaît à la Flandre. C’est suffisant pour convaincre ses pairs de lui confier un secrétariat d’Etat. Puis un ministère. Jeune parlementaire, “Q” n’avait pas les dents qui raient le parquet, mais il a su immédiatement saisir les opportunités qui se présentaient. Et en politique, les choses vont parfois très vite. Encore plus vite en Flandre, bien plus ouverte que la Wallonie à ces carrières en “up and down”.
Un sérieux fêtard
“Q”, donc, ne perd donc pas son temps. Et ses valeurs? “En 1999, il se disait républicain et défendait le droit à fumer des pétards. Je pense d’ailleurs qu’il a dû en consommer quelques-uns, c’est quelqu’un qui aime essayer”, glisse un ancien élu qui l’a côtoyé sur les bancs du Sénat de 1999 à 2003. Un journaleux raconte: “J’ai toujours bien aimé l’avoir en interview le matin pour ma radio. Mais il fallait que je fasse gaffe à une chose: il arrivait après avoir passé sa nuit en boîte. Alors, il bouffait tous les croissants. Est-ce qu’il repartait travailler directement après? Oui, parfois”.
Fêtard, le Van Quick? Oui, mais pas au point de risquer sa carrière. On aura beau fouiller, aucune chance de trouver sur lui un dossier Sofitel-Carlton à la DSK. Il est à l’image de la Flandre: moderne, avide de sensations nouvelles et pas du tout effrayé par la polémique. Ce n’est pas qu’il n’aime pas les Wallons, mais il sait que si ce qu’il a à proposer ne leur plaît pas, cela ne l’empêche pas d’avancer.
“C’est le départ de Guy Verhofstadt qui lui a permis de d’atteindre le sommet”, estime un observateur averti de notre scène politique. Son franc-parler ne plaisait pas alors. Van Quickenborne aura donc parfaitement géré son timing. Débuts dans un petit parti – la Volksunie. Puis, lorsque celui-ci disparaît, il en choisit un autre plus grand, l’Open VLD. Un parti à sa taille. Mais son coup de maître date de fin 2009. A l’époque, les libéraux flamands se cherchent un nouveau président. Les De Gucht, Somers, Dewael et surtout Verhofstadt, qui pendant dix ans ont fait la loi dans la rue du même nom, sont sur le déclin. Toutefois, à part l’ancien Premier ministre, ils se voient même bien rempiler. Les militants de leur parti les suivront-ils? Leur candidat a du poids: c’est le ministre flamand Marino Keulen.
“Q” est alors ministre de l’Economie, mais n’apparaît pas comme un baron. Il est mal engagé, jusqu’à ce qu’il flaire le bon coup. Plutôt que de se ranger derrière ses “collègues et amis” comme on dit, il soutient un jeune, prometteur mais sans expérience politique: Alexander De Croo. La suite est connue: victoire du fils d’Herman sur Keulen, relégation des anciens et pouvoir maximum pour “Q” qui deviendra le nouveau père politique de son président. “Je ne sais pas si c’est Van Quick qui a conseillé à Alexander De Croo de faire tomber le gouvernement Leterme sur BHV, glisse un parlementaire fédéral. Mais il est derrière lui pour tout le reste.”
Aujourd’hui récompensé par un poste de ministre de la justice , “Q” est de fait le leader de son parti au gouvernement. Il lui revient d’engager des réformes cruciales pour l’avenir. Dans ce contexte, peut-il encore jouer les agitateurs et prendre des paris risqués? Sa gestion du dossier des cultes semble indiquer qu’il en reste persuadé.