«La sortie de Van Quickenborne est un coup d’arrêt pour un islam de Belgique»
FRANÇOISE DE HALLEUX
C’est l’avis de Caroline Sägesser, chercheuse au Crisp, qui s’en inquiète. Elle explique pourquoi
Coup de tonnerre pour les musulmans de Belgique. Le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open VLD) recale la reconnaissance de la Grande Mosquée du Cinquantenaire, suite à un rapport négatif de la Sûreté de l’État qui juge son ASBL de gestion trop proche du pouvoir marocain. Dans la foulée, le ministre demande le renouvellement de tous les organes de l’Exécutif des musulmans de Belgique, pour les mêmes raisons. Van Quick les soupçonne… d’espionnage au profit du Maroc ! « Cette sortie ruine tout le travail de Koen Geens pour la création d’un islam de Belgique », s’inquiète Caroline Sägesser, chercheuse au Crisp (centre de recherche et d’information socio- politiques).
Suite à la Commission d’enquête sur les attentats de Bruxelles, notre pays a tenté de mettre en place un islam de Belgique, qui respecte nos valeurs démocratiques. Il s’agissait de reprendre la main sur un islam importé de l’étranger, parfois trop radical. La Grande Mosquée du Cinquantenaire, par exemple, était directement financée et gérée par l’Arabie saoudite et l’on y répandait des idées salafistes incitant au rejet des libertés et droits fondamentaux. La Belgique a donc mis l’Arabie saoudite à la porte et a chargé l’Exécutif des musulmans de Belgique (EMB, organe représentatif des musulmans, NdlR) de relancer la mosquée sur de meilleures bases. Visiblement, c’est raté. Le nouveau ministre de la Justice dénonce la mainmise du Maroc, dans la gestion de la Grande Mosquée mais aussi dans la composition de l’EMB. Il cite notamment son vice-président Salah Echallaoui comme étant trop proche du pouvoir marocain. Or, ce fameux Exécutif des musulmans de Belgique était LE partenaire du gouvernement pour lutter contre le radicalisme religieux.
« C’est un véritable coup d’arrêt de la stratégie menée par l’ex-ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) », commente Caroline Sägesser, chercheuse au Crisp sur les politiques publiques en matière de culte. « Car cette sortie de M. Van Quickenborne dépasse largement le cas de la grande mosquée. Certes, ça impacte la reconnais- sance et donc les subsides pour ré-nover le bâtiment qui en a bien besoin. Mais ça impacte aussi l’Afor, l’acadé-
mie financée par le fédéral pour lancer une véritable for- mation des imams en Belgique, avec l’aide de nos universités. Cette Académie, qui est sur le point de démarrer, a été lancée par le même EMB (dont M. Echal- laoui), aujourd’hui discrédité par le ministre. »
Un Salah Echallaoui qui est aussi, soit dit en passant, inspecteur pour les cours de religion islamique en fédération Wallonie- Bruxelles. « Ce monsieur, que j’ai déjà rencontré, n’a rien d’un extrémiste. Les reproches qui lui sont adressés aujourd’hui ne sont d’ordre ni dogmatique ni religieux », tempère Mme Sägesser. «Que l’homme soit proche du pouvoir marocain n’est un scoop pour personne. Même les Turcs de l’Exécutif des musulmans de Belgique sont proches de la Diyanet (le ministère des affaires religieuses turques). Ces pays conservent en effet une sorte de regard attentif sur les affaires du culte islamique belge ».
Or Van Quick veut un islam de Belgique sans la moindre ingérence étrangère. « Il cherche la perle rare, à mon avis », poursuit la chercheuse du Crisp. « Faire carrière dans la gestion du culte, ça n’attire pas les musulmans de Bel- gique. Je crains que l’on n’aille vers un blocage avec comme conséquence la plus néfaste à mes yeux : ne pas mettre sur pied la formation d’imams, réellement ancrés dans la réalité belge. Après les récents attentats en France Charles Michel, président du conseil européen, avait plaidé pour la formation d’imams d’Europe. Cette Grande Mosquée, située au cœur du quartier européen, était le lieu tout trouvé et très symbolique pour lancer cette formation. » Caroline Sägesser estime que le ministre a été « très cash » . « Selon l’EMB, il aurait même fait ses déclarations sans les avoir rencontrés. Il casse les ponts d’emblée et je doute qu’il ait un autre plan à sortir de sa manche. »
« DIFFAMATOIRE ET INJURIEUX »
Ce discrédit risque aussi de ralentir le processus de reconnaissance des mosquées (un petit tiers seulement sont reconnues sur les 310 que compterait le pays). Car c’est aussi cet EMB qui déposait les dossiers et s’en por-tait garant.
Malgré nos messages vocaux laissés sur le GSM de M. Echallaoui, ce dernier ne nous a pas rappelés. Par communiqué, l’Exécutif des musulmans de Belgique « condamne les propos infondés duministre Van Quicken-
borne. Nous réfutons toutes accusations relatives aux pseudo- ingérences des pays étrangers et d’espionnage qui sont totalement infondées. Nos institutions sont des organisations de droit public et droit civil belge dont les membres sont citoyens belges à part entière. Il est diffamatoire, injurieux et calomnieux de déclarer que nos membres seraient des espions à la solde de pays étrangers ».