Au Maroc, les ravages des avortements clandestins

Young mothers and pregnant women sit in the "Basma" protection unit in Casablanca on May 25, 2010. The "Basma" protection unit provides protection to unmarried and pregnant Moroccan women or young mothers following unwanted pregnancy. Many Moroccan women's rights groups and political parties, eager to change the country's blanket ban on abortion, are lobbying Parliament for changes to the law in cases of incest or rape. AFP PHOTO/ABDELHAK SENNA (Photo by ABDELHAK SENNA / AFP)

Le visage souriant de Siham, habitante de Rabat, se trouble quand cette jeune femme de 24 ans fait part de sa douloureuse expérience l’année passée. Craignant l’opprobre de son entourage, après être tombée enceinte par accident de son petit ami, Siham décide de faire appel à un herboriste « pour avorter avec les techniques traditionnelles ». Sans le savoir, elle prend un risque énorme. « J’ai bu des infusions. Je me suis mise à saigner, c’était extrêmement douloureux », raconte-t-elle.

La tentative échoue, non sans séquelles pour son bébé. « Il a des problèmes au cœur et aux poumons. Il faudra le surveiller de près. » Pour fuir la réprobation de sa famille, Siham s’est installée à Casablanca, aidée par l’association Solidarité féminine, qui défend les mères célibataires. « Je veux essayer d’offrir un avenir à ma fille. Un avenir meilleur que le mien. »

Le code pénal marocain prévoit jusqu’à deux ans de prison pour les femmes qui avortent, et dix ans pour celles et ceux qui les aident. Conséquence, les Marocaines utilisent les techniques traditionnelles risquées ou pratiquent de coûteuses IVG clandestines dans des cabinets médicaux. Pour ne pas être mises au ban de la société, « celles qui n’y arrivent pas choisissent souvent d’abandonner leur enfant, voire de le tuer à la naissance », s’attriste le Dr Chafik Chraibi, président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (Amlac).

600 à 800 avortements chaque jour

Ce mardi 25 juin, l’Amlac organise un sit-in devant le Parlement pour réclamer le vote de ce projet de loi bloqué au parlement depuis trois ans. « Les députés savent très bien que, quotidiennement, des dizaines de femmes sont victimes de l’avortement clandestin ! Jusqu’à quand vont-ils laisser ces drames se produire ? », s’indigne le Dr Chafik Chraibi.

Selon l’Amlac, 600 à 800 avortements seraient pratiqués chaque jour au Maroc. Contraintes à la clandestinité, les Marocaines prennent encore plus de risques depuis l’interdiction, en 2018, de l’Artotec, un médicament abortif peu coûteux.« Les techniques traditionnelles sont très dangereuses », explique le Dr Chafik Chraibi. Les substances obtenues chez les herboristes peuvent provoquer des infections, détériorer les organes génitaux, provoquer des malformations du fœtus… Même les avortements pratiqués en cabinet médical le sont souvent dans de mauvaises conditions.

Une loi qui resterait très restrictive

Fatima Ezzahra, étudiante de 24 ans à Casablanca, est elle aussi récemment tombée enceinte par accident. « Quand j’ai compris ce qui m’arrivait, j’ai eu peur. De la réaction de mes parents. De celle des médecins de l’hôpital, comme je ne suis pas mariée. » Elle décide d’avorter, malgré l’interdiction et la peur des complications. Mais un premier médecin l’humilie, un second lui réclame 640 € avant qu’elle se rende au Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (Mali) qui lui fournit gratuitement de l’Artotec, en dépit de l’interdiction.

L’ONG qui milite pour la dépénalisation totale de l’avortement accompagne les femmes désireuses d’avorter. « Mais nous sommes submergés, s’alarme Betty Lachgar, cofondatrice du mouvement. Nous sommes à peine quelques-uns et nous recevons près de 200 messages par jour ». Siham, elle, attend encore quelques jours pour pratiquer une échographie et s’assurer du résultat. « Alors, je serai soulagée… », souffle-t-elle.

Même si le projet de loi était finalement adopté, « il n’autoriserait que 5 à 10 % des situations que nous rencontrons », assure le Dr Chrafik Chraibi qui plaide pour la prise en charge de la santé et du bien-être physique, mental et social des femmes désirant avorter.

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50 000 naissances hors mariage

D’après l’association Insaf (Institut national de solidarité avec les femmes en détresse) :

– 50 000 enfants naissent chaque année hors mariage au Maroc ;

– 300 bébés sont retrouvés abandonnés morts ou vivants à Casablanca chaque année ;

– 60 000 à 80 000 adolescentes de moins de 15 ans sont employées comme petites bonnes par des familles ;

– Plus de 45 % des mères célibataires ont été des petites bonnes.

Ce que dit le code pénal marocain :

– Les relations sexuelles hors mariage sont un délit, punissables d’un mois à un an d’emprisonnement selon l’article 490 du code pénal ;

– Il ne peut y avoir de reconnaissance de paternité pour un enfant né hors mariage ;

– Les enfants illégitimes ne peuvent pas jouir des droits inhérents à la filiation, tel que l’héritage.

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