Témoignages et sueurs froides lors du procès du double meurtre de touristes au Maroc

Members of the Moroccan security forces stand guard during the trial of jihadist suspects charged over the brutal murder of two Scandinavian women hiking in Morocco, at a court in Sale, near the capital Rabat on May 30, 2019. Danish student Louisa Vesterager Jespersen, 24, and 28-year-old Norwegian Maren Ueland had their throats slit while camping in an isolated area of the High Atlas mountains in December / AFP / FADEL SENNA

Les 24 accusés dans l’affaire de l’assassinat des deux randonneuses scandinaves ont été interrogés par le juge lors de la quatrième audience au tribunal de Salé.

Dans la salle, l’ambiance se tend. Les 24 prévenus entrent dans le boxe des accusés sous l’œil des policiers. Beaucoup portent une barbe fournie et un qamis, le long vêtement prisé par les salafistes. Sereins, ils se tiennent par l’épaule et discutent, sourire aux lèvres. Installé sous un portrait du roi Mohammed VI surmonté d’un verset du Coran, le juge Abdelatif Amrani appelle un premier accusé à la barre, vendredi 14 juin.

Les prévenus sont jugés là pour avoir décapité deux jeunes randonneuses scandinaves, retrouvées mortes dans leur tente le 17 décembre 2018 alors qu’elles campaient près du mont Toubkal, dans le Haut-Atlas. Une attaque filmée qui avait été diffusée dans la foulée sur les réseaux sociaux avec une autre vidéo où les présumés terroristes prêtaient allégeance à l’Etat islamique (EI).

Avant qu’il ne sorte du boxe, Me Khalid Al-Fataoui, l’avocat de la famille de la victime danoise, Louisa Vesterager, demande « que soit engagée la responsabilité de l’école coranique dans laquelle tous les inculpés ont avoué avoir fait leurs études ».

Demi-sourire aux lèvres

Abdelatif Armani statuera après délibérations. L’avocat marocain n’est pas étonné. « Si cette école coranique est impliquée, des milliers de personnes risquent de manifester devant le tribunal », explique-t-il. Lors de la précédente audience, la famille de Louisa s’était constituée partie civile et avait déjà demandé que soit engagée la « responsabilité morale » de l’Etat marocain en vue de dédommagements. « L’Etat doit contrôler les écoles coraniques et le champ religieux. On ne peut pas accepter ces systèmes éducatifs conformes ni au Maroc ni à nos engagements internationaux », argumente Me Al-Fataoui.

L’interrogatoire commence. A la barre, le premier accusé a des antécédents, condamné à trois ans de prison en 2015 pour « apologie du terrorisme ». C’est d’ailleurs en prison qu’il rencontre Abdessamad Al-Joud, le principal suspect. Lors de l’audience du 30 mai, ce dernier a avoué avoir décapité les deux jeunes randonneuses. « Le préjudice est énorme, nous confie Me Al-Fataoui. Traumatisées, les familles sont suivies par des psychiatres. Je vais plaider avec le procureur général la peine capitale. Alors qu’elle n’a pas été exécutée depuis 1993, j’espère qu’elle le sera cette fois-ci. »

Au total, 13 prévenus ont été interrogés par le juge pendant plus de cinq heures. La plupart sont présentés comme membres d’une « cellule terroriste » dirigée par les principaux accusés. Quelques-uns, soupçonnés de non-dénonciation de crime, ne sont restés que quelques minutes à la barre. Mais d’autres ont été interrogés plus d’une demi-heure par le juge, niant à la fois les procès-verbaux de la police et les déclarations faites devant le juge d’instruction.

Les bras croisés sur la poitrine, Said Taoufik, lui, a confirmé tous les chefs d’inculpation retenus contre lui, dont « apologie du terrorisme » et « constitution d’une bande pour préparer et commettre des actes terroristes ». Dans son qamisbleu gris, il répond par l’affirmative à toutes les questions du juge. « Tu veux continuer le djihad ? », lui demande-t-il. « Oui, bien sûr », répond cet ex-militaire qui a quitté l’armée en 2016. Il avoue que s’il avait eu à l’époque les mêmes convictions qu’aujourd’hui, il aurait commis des attentats à l’intérieur de l’armée grâce aux armes qu’il avait entre les mains.

Quand le juge lui demande s’il a « apprécié » le geste exécuté à Imlil, il répond que cela n’a pas été exécuté « correctement ». « Il fallait tuer des hommes plutôt que des femmes », déroule-t-il. Une logique qui a glacé l’auditoire.

Et quand Me Al-Fataoui a demandé à l’accusé si, à ses yeux, « la société marocaine est contre l’islam », s’en est suivi un dialogue qui, là encore, a choqué :

« Non, mais le système l’est, a-t-il répondu.

— Les forces de l’ordre et la police font-elles partie de ce système ?

— Oui, ils sont rattachés au régime tyran. »

Consterné, le juge lui demande sèchement de se rasseoir et le jeune homme de 23 ans retourne au premier rang du boxe des accusés, aux côtés des quatre principaux suspects, un demi-sourire aux lèvres.

« Ami avec des chrétiens »

Le groupe des prévenus ne compte qu’un seul étranger. Habillé de son jogging vert, Kevin Zoller Guervos, un Hispano-Suisse de 25 ans, a la mine fatiguée. Il retrouve le sourire quand sa mère réussit à zigzaguer pendant la pause entre les forces de l’ordre pour le saluer à travers le Plexiglas, son fils de 2 ans sur la hanche. Installé à Marrakech depuis 2015, Kevin est accusé d’avoir participé à la radicalisation des quelques-uns des suspects, bien qu’il clame son innocence.« Certains pensent qu’il est terroriste, mais il n’y a aucune preuve ! On ne peut rien déduire des paroles », s’indigne la mère du prévenu, qui répète que son fils ne parle même pas l’arabe.

Ces « paroles », ce sont celles de plusieurs détenus qui disent connaître l’Hispano-Suisse. Lors de l’audience du 30 mai, Abdessamad Al-Joud a affirmé que Kevin n’avait jamais parlé de djihad au Maroc, mais plutôt de rejoindre une branche de l’EI aux Philippines.

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