Oui, les terroristes qui ont frappé la Catalogne sont presque tous Marocains, et alors ?
Parmi les auteurs des attaques du 17 et 18 août, qui ont fait 16 morts et une centaine de blessés, dix sont nés au Maroc. Le magazine «Jeune Afrique» a jugé pertinent de le souligner à sa une.
«Born in Morocco» («Nés au Maroc»), titrait en une Jeune Afrique (daté du 27 août au 2 septembre), avec des photos de dix terroristes ayant participé aux attentats des 17 et 18 août en Catalogne, les couleurs du drapeau national marocain en arrière-plan, provoquant de vives réactions chez de nombreux lecteurs. Et pour cause, la couverture de l’hebdomadaire présente le Maroc comme le point commun entre ces terroristes. Même si Jeune Afrique précise dans le sous-titre que ces derniers se sont bien «radicalisés en Europe et y ont été recrutés par Daech», cette titraille témoigne d’une drôle de hiérarchisation de l’information. En faisant le choix de retenir de ces attentats l’origine des terroristes, on stigmatise de fait.
Or l’hebdomadaire s’en défend par le biais d’un raisonnement assez tortueux : «Mettre en avant le lieu de naissance des terroristes n’équivaut pas à stigmatiser les Marocains.» Mais alors à quoi cela équivaut-il ? Pourquoi asséner que ces terroristes-là sont nés au Maroc ? Qu’est-ce que cela peut bien susciter à part des relents racistes ?
Des liens rompus avec le pays de naissance
S’il faut cibler une problématique, c’est plutôt celle de l’intégration de la communauté marocaine immigrée en Espagne. Un paramètre que l’on retrouve d’ailleurs à la toute fin du dossier, dans la bouche d’un associatif de M’rirt, la ville du Moyen Atlas au Maroc d’où sont originaires ces terroristes : «Ces jeunes ont grandi en Espagne. Ils traînaient ensemble à Ripoll [une commune d’environ 10 000 habitants en Catalogne, ndlr] parce qu’ils étaient Marocains et originaires de la même région […]. La première génération d’immigrés, et particulièrement ceux originaires de l’Atlas, a vécu paisiblement en Europe. Mais la deuxième et la troisième génération ont peiné à s’intégrer, ce qui a pu faciliter l’endoctrinement à des fins terroristes.»
Certes, dès son éditorial, Jeune Afrique ne dénonce pas autre chose que cette stigmatisation : «L’Etat marocain n’a plus de prise sur ceux de ses ressortissants dont la radicalisation s’est effectuée en Europe, sous la juridiction et la surveillance (parfois aléatoires) des services de sécurité européens et dans un contexte (échec des politiques d’intégration, frustrations sociales, sentiment de rejet) spécifiquement européen.» D’autant plus que les terroristes de Barcelone ont quitté le Maroc à la naissance ou sont partis avant l’âge de cinq ans. Et Jeune Afrique de souligner que les terroristes de Barcelone avaient rompu les liens avec le Maroc, «leur radicalisation s’étant effectuée en Europe, dans un contexte spécifiquement européen».
Une haine innée et non acquise ?
Sauf que l’hebdomadaire renoue dans sa conclusion avec l’idée essentialiste de la une qu’il avait pourtant l’air de réfuter jusqu’ici : «C’est donc au tour du Moyen Atlas, connu pourtant pour être la région la plus tolérante du pays, de découvrir la haine qui sommeillait en certains de ses enfants exilés.» Une haine qui serait donc innée, du ressort du pays d’origine, et non acquise selon les ressorts soulevés précédemment.
Des confrères marocains ont soutenu l’initiative prise par l’hebdomadaire de dévoiler une réalité, de «sortir la tête du sable» comme le dit Karim Boukhari dans un billet, publié sur le site d’information marocain le 360. «Ils n’y vont pas par quatre chemins et nous disent ce que nous ne voulons pas entendre. Et qui est pourtant énorme, comme un coup de tonnerre. Tous les terroristes qui ont ensanglanté la Catalogne sont marocains. Oui, Marocains, tous ! […] Cela nous concerne directement. C’est notre problème», juge l’éditorialiste.
Mais au nom de quoi, si ce n’est des origines, les Marocains devraient-ils se sentir «concernés directement» ? Bien sûr, le Maroc et les Marocains doivent s’efforcer de parler librement des travers de la société et de les combattre. Bien sûr, la radicalisation des Marocains existe sur leur sol, il ne s’agit à aucun moment de nier cette réalité. Mais insinuer plus ou moins que la société marocaine, où aucun des terroristes n’a grandi, a une responsabilité dans la réalisation de ces attentats de Barcelone est non seulement abusif mais aussi, et surtout, contre-productif.